POUR LE DIALOGUE NATIONAL
Faut-il encore
apprendre lallemand?
A ceux qui annoncent le règne sans
partage de langlais sopposent les défenseurs de la maîtrise des langues nationales.
Mais comment les apprendre, et pourquoi lenseignement bilingue peine-t-il
encore tant à simposer?
Cest une de
ces belles polémiques comme la Suisse aime se les jouer depuis quelque temps, une
polémique qui touche à son âme à son vague à lâme, Dun côté le clan froid des
utilitaristes. Emmenés par deux députés au Grand Conseil zurichois, ils
réclament lenseignement de langlais dés la deuxième année primaire. Puisque
la langue de léconomie et de lavenir est 1anglais, sacrifions-lui le
superflu, disent-ils. Et le superflu, bien entendu, sest le français.
Dailleurs un des auteurs du postulat, le radical Peter Aisslinger, na pas
laissé planer déquivoque Aujourdhui déjà, Romands et Alémaniques
sentendent le plus souvent en anglais, a-t-il affirmé
devant le parlement zurichois.
De lautre côté, le tendre clan des
passéistes, les volontaristes de la résistance politique contre le fatalisme
économique, les défenseurs de lidée suisse, cette nation de la volonté. Si
nous napprenons plus les langues nationales, avertissent-ils, nous ne saurons
plus nous entendre, nous perdrons notre culture, ce sera la fin du pays. Il y a
quinze jours, le clan des passéistes a enregistré un rude coup: un sondage
publié par le magazine Facts a révélé que le peuple suisse privilégiait
lapprentissage de langlais. A la question de savoir quelle langue étrangère
les enfants devraient dabord apprendre, 60% des Alémaniques répondent
langlais, et seulement 34% le français. En Suisse romande, on retrouve une
proportion identique: 57% citent langlais, contre 37% lallemand. Französisch
ist passé, titrait délicatement Facts...
Alors faut-il répondre que lallemand
est fertig? Vaut-il encore la peine de séchiner à lapprendre? Le débat est
dramatiquement mal posé. Cest dailleurs un économiste qui sapprète à
démontrer à quel point il est absurde dopposer les prétendus besoins de
léconomie à ceux de la cohésion nationale. François Grin, maître assistant au
Département déconomie politique de lUniversité de Genève, dirige un projet
financé par le Fonds national de la recherche scientifique et qui, sur la base
dun questionnaire mené auprès de 2500 personnes, cherche à mesurer quel
bénéfice salarial les individus retirent de la ma”trise dune langue étrangère.
Cest on ne peut plus trivial, bassement économique, mais les résultats, qui
seront publiés au début de lannée prochaine, pourraient redonner des couleurs
aux malheureux passéistes.
Premier point, une maîtrise
professionnelle de langlais vous assure, à formation, âge et expérience
identiques, un salaire de 10% plus élevé en Suisse romande, et de 18% plus
élevé en Suisse alémanique. En revanche, la ma”trise de lautre langue
nationale, français ou allemand, assure la même plus-value salariale dans les
deux régions du pays: 13,5%. Les Zurichois ont raison de penser que langlais
est profitable, ils auraient tort en revanche de croire que le français est
négligeable. Surtout que dautres données révèlent que le vrai jack pot, cest
la maîtrise de plusieurs langues. En données brutes, les Suisses germanophones
qui parlent un excellent anglais gagnent 6266 francs par mois en moyenne; cest
beaucoup moins que ceux qui parlent également le français (7911 francs par
mois), cest même moins que ceux qui combinent un anglais moyen avec la
ma”trise, du français (6326 francs par mois). Dun point de vue strictement
économique, prétendrr que langlais suffit est une absurdité, conclut François
Grin. Ce qui est le plus recherché, ce sont les compétences croisées.
Ce qui est valable en Suisse alémanique
lest dautant plus ici, en Suisse romande. Or cette polémique sur
lenseignement des langues tombe à un moment où les méthodes pédagogiques sont
en complet remaniement.
Les méthodes se suivent
Les générations qui ont péniblement
dégluti le Wir sprechen Deutsch, monument national à la fois traumatique et
initiatique, ne sen doutent pas forcément mais, depuis un quart de siècle,
lenseignement de lallemand a subi des modes aussi éphémères et capricieuses
que les avant-gardes artistiques. Wir sprechen Deutsch était un triomphe de
laustère méthode dite grammaire-traduction; il y eut ensuite lefflorescence
des laboratoires de langue, pour laudio-oral, puis leur désaffection au
profit de laudiovisuel, puis la disgrâce des TV et lapparition des méthodes
communicatives, basées sur une approche orale. On en est maintenant au stade
post-communicatif, marqué, pour faire court, par un léger retour de la grammaire.
A lInstitut romand de recherche et documentation pédagogique (IRDP), le
linguiste Jean-François de Pietro résume le tout dans une forme de litote: Cela
na pas mal marché, mais les résultats nont pas été enthousiasmants. Disons
quils nont pas été à la hauteur des espoirs énormes qui avaient été placés
dans ces nouvelles méthodes.
Le constat mitigé est aussi fonction
des efforts entrepris: dès 1975, les cantons romands (à lexception de Vaud)
avaient été les premiers à introduire lenseignement de lallemand en primaire
dès la 4 année. Là encore, les résultats nont pas été à la mesure des
attentes, en partie par désinvolture - un responsable scolaire affirme par
exemple quà Genève, plusieurs instituteurs négligent tout bonnement ce point
du programme - en partie pour des raisons de ruptures pédagogiques: dans
plusieurs cantons, les profs décole secondaire ont tendance à tenir pour
insignifiant ce qui sest fait dans les classes précédentes et ils mettent un
point dhonneur à tout reprendre à zéro.
Cet échec relatif ne marque pourtant
pas la fin des espoirs méthodologiques. Loin de là. Depuis le début des années
90. lenseignement bilingue, ou enseignement par immersion, sest petit à petit
imposé comme le modèle vers lequel tendre, le seul capable damener lélève, en
milieu scolaire, à des compétences véritablement bilingues.
Plutôt limmersion
Il a suffi de quelques années pour que
les expériences se multiplient, surtout dailleurs en Suisse romande, où
lécole privée Moser, à Genève, a fait figure de pionnier, mais aussi où des
cantons comme le Valais et Fribourg jouent des rôles moteur. La linguiste
fribourgeoise Claudine Brohy, une des meilleures spécialistes du pays en
matière denseignement plurilingue, collaboratrice scientifique à lIRDP et
chargée de cours à lUni de Fribourg, a recensé lannée dernière, en Suisse,
110 expériences denseignement par immersion, tous niveaux confondus, de la
maternelle au gymnase ou au niveau tertiaire. Cette année, elle a déjà eu
connaissance de trente expériences supplémentaires.
A ce rythme, on imagine une vague de
bilinguisme qui sapprèterait à submerger la Suisse, On en est loin, très loin.
La majorité de ces expériences concernent des essais limités dans le temps
(Valais) ou des réalisations qui se concentrent dans les classes préscolaires
ou dans le secondaire II, cest-à-dire après lécole obligatoire. Il y a
deux explications à cela, note Claudine Brohy. Pour le modèle
précoce, la demande des parents est très forte; cest dailleurs assez facile à
réaliser, puisquil ny a pas de notes, pas de branches comme les maths ou la
lecture, pas de pression à la sélection. A lautre
extrémité, dans les gymnases, écoles de commerce ou professionnelles,
limpulsion vient plutôt des milieux politiques, des directions ou des
enseignants eux-mêmes. Lidée est de mieux armer les étudiants juste avant la
vie active. Mais là aussi cest jugé plus facile quau niveau de lécole
obligatoire. Les enseignants sont plus mobiles, et surtout on a moins
limpression de toucher à des questions identitaires. A cet âge-là, le
bilinguisme nest quun outil de travail, on considère que lidentité des
jeunes gens et leur appartenance socio-culturelle sont déjà formées.
Mobilité des enseignants, réflexes
identitaires. Voilà résumés les obstacles sur lesquels bute le développement de
lenseignement bilingue. Mi-octobre, à lapéritif dun congrès sur le
multilinguisme organisé à Fribourg par la Société suisse de recherche en
éducation, le syndic de la ville, Dominique de Buman, ai eté un froid en
avertissant des risques dune immersion utilitariste. Il ne faut pas
oublier que la langue porte une culture, explique-t-il, et dans une région
comme la nôtre, où deux civilisations vivent ensemble, je ne suis pas un fana
de nimporte quelle immersion. Cest le genre de débat qui peut très
vite senflammer.
Valais et Fribourg en tête
Très modérément enthousiastes également
sont les milieux denseignants qui voient leur place remise en cause: à grande échelle,
un enseignement bilingue signifierait des échanges massifs entre les deux
régions linguistiques; des profs dallemand perdraient leur raison dêtre, des
profs dhistoire ou de biologie devraient sinstaller à Schaffhouse ou en
Argovie... On voit bien que cest un peu moins simple à mettre en place que ne
le suggère lenthousiasme des discours officiels. Cest sans doute la raison
pour laquelle les attitudes cantonales sont extrèmement contrastées. Dans le
peloton de tête, le Valais mène des expériences très structurées et Fribourg
vient de mettre en consultation un document exemplaire qui devrait proposer aux
communes trois modèles denseignement bilingue. A lopposé, Genève et Neuchâtel
se distinguent par leur immobilisme, tandis que Bienne débute plusieurs
expériences et que Vaud et le Jura abritent des essais disparates
Beaucoup despoirs déçus et une méthode
vraiment efficace quon ne sait pas très bien comment mettre en place,
lenseignement de lallemand reste problématique dans un pays qui peine à tirer
parti de son plurilinguisme. La Suisse nest pas exactement un pionnier en
matière denseignement des langues, constate le document fribourgeois mis
en consultation. Le mérite du coup déclat zurichois, qui a entraîné la
création dune commission nationale présidée par le linguiste bâlois Georges
Lüdi et chargée de faire des recommandations très précises avant lété
prochain, sera peut-être douvrir les yeux sur ce triste état de fait.
Alain Rebetez
SUITE DU DOSSIER:
Classes bilingues
suivez la mode, elle est bonne!
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député romand
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Lallemand:
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Voulez-vous
rattraper votre retard
Test: Que
reste-t-il de votre allemand?
Hebdo
nº1⁄4 49 - 3/12/1997
URL de source: http://www.webdo.ch/hebdo/hebdo_1997/hebdo_49/allemand_49.html
(valable au 26/05/2000)
À lire aussi: : Le Temps, 27/06/2005, « L'enseignement de lallemand à Genève? Une aberration à corriger dici à 2010 »
(« La «sensibilisation» à lallemand pratiquée à lécole primaire est jugée nulle par les enseignants du secondaire.
»)