[Rev. crit.
33.1938.224]
Cour dappel
de Rabat (1re Ch.). — 9 févr. 1937
Maroc.
— « Jus sanguinis ». — Sujets marocains de confession juive.
— Décret du 8 novembre 1921.
Lindividu,
né à Casablanca, dun père sujet marocain et dune mere de nationalité
française, est lui-même sujet marocain jure sanguinis
(1).
Les
sujets marocains de confession juive ne peuvent être considérés comme « heimatlos
» (2).
Le
décret français du 8 novembre 1921 sur la nationalité française et le dahir
chérifien de meme date sur la nationalité marocaine sont, à lévidence, des
texts conplémentaires lun de lautre, tout au mois étroitement soudés en vue
de leur application.
Il
résulte de cette interpretation que lacquisition de la nationalité marocaine,
puis de la nationalité française au Maroc, dans la zone dinfluence française,
nest possible que pour les individus qui nont pas déjà lune ou lautre de
ces nationalités (3).
( Aff.
Epoux Zabulon c. Procureur commissaire du gouvernenment de Casablanca )
La Cour.
– Vu les articles 226 et suivants du dahir de procedure civile ; vu
le dahir du 8 novembre 1921, et le décret français de meme date ; Après en
avoir délibéré conformément à la loi ; En la forme : [*225] Attendu que lappel est régulier et
valable. Au fond : att., que les époux Abenhaim Zabulon, agissant
conjointement et pour une meme fin, réclament pour leur fils Basile contre M.
le Procureur de la République française, commissaire du gouvernement près
leTribunal de première instance de Casablanca, ès qualité de représentant de
lEtat français, le benefice de la nationalité française ; — Att.,
quils font valoir à lappui de leur action que leur fils précité, né à
Casablanca le 5 octobre 1914 de leur union légitime, est citoyen français,
parce que né dun père de nationalité incertaine, sinon « heimatlos »
parce que sujet israélite de S.M. le Sultan du Maroc, et dune mere de
nationalité française, avant et après son mariage ; quen effet,
dissent-ils, aux termes dune juriprudence constante, la Française qui épouse
un Israélite, soit sujet du Bey de Tunis, soit sujet du Sultan de Rabat,
demeure Française ; quainsi lintérêt de lenfant qui peut naître de
cette union exige quil soit considéré comme Français ; — Att., que
cette prétention s'analyse ainsi : le sujet marocain de confession juive,
toléré en ce pays par simple faveur du prince, dans le seul sentiment à
lorigine dune hospitalité precise et dune protection de pur fait, ne peut
apporter à son épouse la nationalité marocaine quen réalité il ne possède
point et qui est une sorte de nationalité sans attributs ni avantages ;
— Att., quune telle prétention est dabord et politiquement fausse, les
sujets marocains de confession juive juissant dans le Maroc de la zone protégée
de tous les droits de la personne auxquels de les accueillir ; que parler
de nationalité sans effets pratiques cest parler de néant, alors que S.M.le
Sultan du Maroc, dans toutes les lois quil édicte, dans tous les orders quil
donne, considère comme ses nationaux les individus rattachés à son Empire,
aussi bien ceux appartenant au culte israélite que ceux appartenant à la
religion musulmane, et que la legislation de ce pays répond au seul souci
dassurer aux uns et aux autres lexercice harmonieux de leurs activités
respectives, dans le complet respect de leurs propres coutumes et croyances et
en vue du seul intérêt general ; — Att., que les époux Zabulon font
encore valoir que si leur fils était né soit en France, soit en Algérie, il eût
pu bénéficier sans discussion possible de la nationalité française, par leffet
du jus soli ; quainsi Basile Zabulon étant né au Maroc,
mais après linstitution du protectorat français, doit être considéré comme né
en terre française et doit pouvoir, par analogie, se réclamer de la qualité de
Français ; quencore, et aux termes du décret français du 8 novembre 1921,
la nationalité française est attribuée aux enfants nés sur le sol marocain
dune mere étrangère, née elle-même au Maroc et justiciable des tribunaux français ;
Sur ce :
— Attendu que le Maroc, place sous le protectorat de la France est
demeuré pays étranger, la souveraineté française s'exerçant parallèlement àa la
souveraineté chérifienne, mais sans porter à celle-ci une atteinte
quelconque ; — Att., en conséquence que le Maroc est pour la France
en droit et en fait un pays étrangère; quainsi Zabulon Basile, né à Casablanca
en octobre 1914, est né sur le sol marocain ; — Att., que les
appellants font, en cause dappel comme en prmière instance, abstraction totale
des liens du sang par lesquels les individus se perpétuent à lintérieur dune
nation et qui sont essentiellement à la base de la notion de nationalité ;
— Att., quils commettent une erreur de droit flagrante lorsquils
isolent le décret français du 8 novembre 1921 et ne le rapprochent pas, en vue
de son appréciation [*226] à la
cause, du dahir de meme date qui dispose : « est Marocain tout
individu né dans la zone française de notre Empire, de parents étrangers dont
lun y est lui-même né » ; — Att., que la disposition de ces
dahir chérifien et décret français, pris tous deux le même jour, et le
chérifien précédant le français dans leur publication au Bulletin officiel du
protectorat du 6 décembre 1921, s'analyse ainsi : « est Marocain jure
soli tout individu né dans la zone française de lEmpire
chérifien, de parents étrangers dont lun y est lui-même né, à lexception
toutefois des citoyens, sujets ou ressortissants français, autres que les
sujets marocains » ; — « est Français également jure
soli tout individu né dans la zone française de lEmpire
chérifien, de parents dont lun est justiciable, au titre étranger, des
tribunaux français, est lui-même né dans cette zone, pouvu que sa filiation
soit établie en conformité des prescriptions de la loi nationale de lascendant
ou de la loi française avant lâge de 21 ans » ; — Att., que
ces textes, à lévidence complémentaires lun de lautre, tout au moins
étroitement soudés en vue de leur application, signifient que lacquisition de
la nationalité française au Maroc, sous protectorat français, nest possible
que pour les individus qui nont pas dores et déjà, jure sanguinis, lune
ou lautre de ces nationalités ; quainsi, linterdépendance des textes
précités révèle clairement la pensée des législateurs français et marocain, qui
ont légiféré de concert en vue de permettre lacquisition de la nationalité
française à certains individus nés au Maroc, zone sous protectorat
français ; — Att., que cette acquisition de létat de Français qui
nétait pas directement possible jure soli, le sol
marocain étant vis-à-vis de la métropole un sol étranger, est indirectement
possible grâce à lacquisition préalable par les individus visés, de la
nationalité marocaine ; quainsi cette nationalité marocaine dont
lacquisition jure soli na été admise par S.M. le Sultan que
dans la pensée ci-dessous exprimée, nest en définitive et à lévidence, quune
nationalité dattente, destinée à permettre lacquisition de la nationalité
française ; quen conséquence le décret du 8 novembre 1921 na pu vouloir
dénationaliser certains sujet jure sanguinis de lEtat
protégé pour en faire des nationaux de lEtat protecteur ; — Att.,
en conséquence que Basile Zabuon, fils légitime de Abenhaim Zabulon, sujet
marocain a, jure sanguinis, la nationalité de son père et ne peut
réclamer le bénéfice des textes précités de 1921 ; — Att., que les
appelants font encore et vainement état à lappui de leur action du fait que
leur fils ayant été inscrit sur les listes de recrutement de la ville de
Casablanca par lautorité militaire compétente, et nayant pas opposé son
extranéité, se trouve actuellement sous le coup de poursuites pour délit
dinsoumission ; quen effet, lerreur de lautorité militaire et le désir
à la vérité louable de Basile Zabulon deffectuer son service militaire dans un
corps de troupe régulier, ne sauraient créer à celui-ci un droit
quelconque ; quau surplus, la question préjudicielle de nationalité
examinée dans le présent litige et qui tient en suspens laction répressive
ci-dessus, conditionne la recevabilité de ladite action.
Par ces motifs,
et ceux non contraires des premiers juges, au fond : le déclare mal fondé.
Confirme en conséquence le jugement entrepris.