63 Rev. crit. de droit international privé
624 (1974)
I.
NATIONALITÉ
Cour
de cassation (1re Ch. clv.). - 8 janvier 1974.
Attribution de la nationalité française.
Décret du 6 septembre 1933.
Mariage. Preuve. Article 197 du Code civil.
Application.
Contentieux de la nationalité. Action déclaratoire.
Débouté. Portée limitée
au texte invoqué.
Preuve. Nationalité
étrangère. Question de fait.
L'arrêt
qui déboule un individu de sa demande tendant à
être déclaré français sur le
fondement de l'article 2-5ç du décret du 6 septembre 1933 ne fait
que décider que ledit individu n'a pas la qualité de
Français au regard de ce texte, seul invoqué par lui (1).
Dès
lors qu'une contestation était soulevée par
l'intéressé lui-même sur le
caractère de sa propre filiation pour tenter de se faire reconna"tre
la nationalité française, la Cour d'appel pouvait se
fonder (à la demande du ministère public) sur la
situation de droit prévue par l'article 197 du Code civil (preuve
par la possession d'état du mariage de personnes depuis
décédées) pour admettre que cette filiation
était légitime et que l'intéressé,
né à Madagascar de parents d'origine indienne, ne
pouvait se prévaloir de ta nationalité française
attribuée à l'enfant né à
Madagascar de parents Inconnus ou de nationalité inconnue par le
décret du 6 septembre 1933 (2).
La preuve
d'une nationalité étrangère
déterminée est, hormis le cas où elle
résulte d'un traité liant la France, pour les juges
français une question de fait qui échappe au contrôle
de la Cour de cassation (3). [*626]
(Issadjee)
La Cour; - Sur le premier moyen :
Attendu que l'arrêt infirmatif attaqué a
décidé que Issadjee Moula Aladine, né
à Majunga, le 9 mars 1913, selon un jugement supplétif de
son acte de naissance rendu par le Tribunal de cette ville, le 5 octobre 1937,
n'avait pas la qualité de Français aux motifs que le
bénéfice de l'article 2-5ç du décret du 6
septembre 1933 n'accordait cette nationalité qu'à
l'enfant légitime ou naturel né à Madagascar
d'un père ou d'une mère français ainsi
qu'à l'enfant né à Madagascar et ses
dépendances de parents inconnus ou dont la nationalité
est inconnue, et que suivant l'article 197 du Code civil, il avait la
possession d'état non contredite par son acte de naissance d'enfant
légitime de parents
connus: feu Moula Aladine, d'allégeance britannique comme
étant né en 1848 à Kutcinnandey (Indes
anglaises) et Vazirbou Badouroudie, née en Majunga vers 1878; qu'il
est d'abord reproché à cette décision de
s'être, au Mépris de l'article 5 du Code civil,
prononcée par voie de disposition générale;
Mais attendu qu'il résulte des motifs de
l'arrêt attaqué ci-dessus rappelés, qui sont le
soutien nécessaire du dispositif et font corps avec lui, que la Cour
d'appel n'a fait que décider qu'Issadjee n'avait pas la
qualité de Français au regard de l'article 2-5ç du
décret du S septembre 1933 seul invoqué par ce dernier;
Que le moyen est donc sans fondement;
Sur le
deuxième moyen, pris en ses deux branches
Attendu qu'il est aussi reproché à la Cour d'appel
d'avoir considéré qu'Issadjee avait la possession
d'état d'enfant légitime au sens de l'article 197 du Code
civil, alors, d'une part, que contrairement à ce
qu'énonce l'arrêt attaqué, nul autre que
l'enfant ne pourrait se prévaloir des dispositions de ce texte et
alors, d'autre part, que la Cour d'appel ne pouvait tenir pour incertains la
forme, le lieu et la date du mariage de Moula Aladine et de dame Vazirbou
puisqu'un certificat de nationalité en date du 26
décembre 1967 régulièrement produit aux
débats constate qu'il y a eu mariage selon les coutumes musulmanes
de ceux-ci et aussi que le jugement supplétif du 5 octobre 1937
constate qu'Issadjee est leur fils de sorte que le mariage dont s'agit,
célébré dans les formes susdites sur un
territoire, alors français, aurait dû être tenu
pour nul en tant que no conforme aux prescriptions de la législation
française; Mais attendu que la Cour d'appel constate
qu'il résulte des pièces versées aux
débats qu'Issadjee avait la possession d'état d'enfant
légitime de Moula Aladine et de dame Vazirbou, tous deux
décédés, car sa filiation figure non seulement
dans le jugement supplétif de son acte de naissance mais aussi dans
l'acte de célébration de son mariage et que, dans l'acte de décès de ses deux parents, il est
mentionné que ceux-ci étaient mariés, circonstances
qui impliquent à tout le moins que les parents d'Issadjee ont
vécu comme mari et femme; Qu'en l'état de ces
constatations et abstraction faite de la régularité d'un
tel [*627] mariage, au sujet de laquelle la Cour
d'appel déclare souverainement qu'il y a
« incertitude », l'arrêt
attaqué, dès lors qu'une contestation était
soulevée par Issadjee lui-même sur le caractère
de sa propre filiation pour tenter de se taire reconna"tre la
nationalité française, pouvait, pour admettre que cette
filiation était légitime, se fonder sur la situation de
droit prévue par l'article 197 du Code civil dont elle estimait que
les conditions étaient réunies en l'espèce;
que le second moyen doit lui aussi être écarté;
Et sur le
troisième moyen : Attendu que, non moins
vainement, il est fait grief à la Cour d'appel d'avoir, pour dire
qu'!ssadjee n'était pas né de parents de
nationalité inconnue, considéré que Moula
Aladine, originaire des Indes, était sinon citoyen britannique du
moins ressortissant de Grande-Bretagne, la nationalité au sens du
décret du 6 septembre 1933 devant s'entendre du lien
d'allégeance des individus à l'égard de la
personne morale de droit international public qui seule sur ce territoire
exerce l'autorité même si les habitants de certaines possessions
d'un Etat sont soumis à un statut particulier, alors que si les
natifs des Indes étaient sous la protection des autorités
britanniques, ils cessaient d'y être à
l'étranger, y étant apatrides; Qu'en effet, la
preuve d'une nationalité étrangère
déterminée, est, hormis le cas où elle
résulte d'un traité liant la France, pour le juge
français une question de fait qui échappe au contrôle
de la Cour de cassation; Que le troisième moyen doit lui
aussi être écarté;
Par ces
motifs : Rejette le pourvoi formé contre
l'arrêt rendu le 13 avril 1972 par la Cour d'appel de Paris;
Du S janvier
1974. Cour de cassation (1re Ch.
civ.). MM. Beilet, prés.; Thirion, rapp.; Boucly, av.
gén. Me Marclihacy, av.
(1-3) Par le
présent arrêt, et par un autre, à peu
près identique, rendu le 19 février 1974 dans une affaire
dame Sikinabai Soundarjee Gova, la Cour de cassation maintient
les arrêts de la Cour d'appel de Paris du 13 avril 1972 qui avaient
refusé de reconna"tre la qualité de Français
à des personnes nées à Madagascar de parents
d'origine indienne (cette Revue, 1972.603 et la note, Chenet,
1972.817, note Ayenond). Le rejet des pourvois a amené la Cour de
cassation à préciser sa position sur les trois points
suivants: le fonctionnement de l'article 197 du Code civil en
matière de nationalité (I); la preuve d'une
nationalité étrangère
déterminée (II); l'autorité des
jugements de débouté en matière d'action
déclaratoire de nationalité (III).
I. - L'article
2-5ç du décret du 6 septembre 1933 déclarait
français l'enfant né à Madagascar de parents
inconnus ou dont la nationalité est inconnue. Mais dans les deux
espèces, la filiation de l'intéressé n'avait
été établie que postérieurement
à sa majorité. Comme à l'époque
(cf. art. 29 anc. C. nat.) la filiation naturelle, à la
différence de la filiation légitime, ne produisait aucune
conséquence en matière de nationalité si elle
était établie après la majorité,
l'intéressé avait [*628]
intérêt à se prétendre enfant
naturel, c'est-à-dire, du point de vue du droit de la
nationalité, enfant de parents inconnus, et donc enfant
français.
On comprend
dans ces conditions que le ministère public, contestant cette
nationalité française, ait cherché
à établir dans un premier temps la
légitimité de la filiation de
l'intéressé et, dans un second temps, la
nationalité britannique de ses parents.
La
légitimité de l'enfant dépendant de
l'existence du mariage de ses parents, décédés
depuis longtemps sans qu'aucun acte de mariage ait pu être
représenté, l'essentiel du débat s'est
porté sur l'application en la cause de l'article 197 du Code civil français autorisant dans
certaines conditions la preuve du mariage des parents, aux fins
d'établir la légitimité des enfants, par la
possession d'état.
L'applicabilité
de l'article 197, texte de droit français
considéré traditionnellement comme faisant partie du
statut personnel, nêa pas été discutée. Elle
doit donc être admise, semble-t-il, quel que soit le statut personnel
actuel de l'enfant, du moment que la question principale en jeu est une
question de nationalité française. A moins que la Cour
suprême ne prépare la voie à un abandon de la
qualification personnelle de cette règle pour ne plus retenir que la
qualification de preuve, auquel cas l'article 197 serait toujours applicable
devant les tribunaux français, en tant que loi du for.
La question la
plus débattue était une question de droit civil. Les
facilités de preuve que donne l'article 197 sont-elles
réservées à l'enfant soucieux
d'établir sa légitimité, comme l'enseignent
les auteurs de droit civil (v. les réf., note
précitée, cette Revue, 1972.609), ou
peuvent-elles être invoquées, au besoin contre l'enfant,
par les tiers et spécialement le ministère public, comme
l'avait jugé la Cour d'appel ? La Cour suprême, tout
en maintenant l'arrêt attaqué, para"t vouloir en limiter
la portée en subordonnant la possibilité pour les juges
de se fonder sur l'article 197 à la condition qu' « une
contestation soit soulevée par l'intéressé
lui-même sur le caractère de sa propre filiation pour
tenter de se faire reconna"tre la nationalité
française ». La portée de la condition est
difficile à apprécier.
Lorsque la
nationalité française d'une personne dépend du
caractère naturel de sa filiation et que le ministère
public conteste cette nationalité, l'intéressé
est bien obligé d'invoquer sa filiation naturelle et, par
là, de « soulever une contestation sur le
caractère de sa propre filiation ». Du moins la
précision fournie par la Cour de cassation laisse-t-elle entendre
que l'article 197 ne pourrait être opposé qu'à
l'intéressé lui-même (et non, par exemple,
à ses descendants) et peut-être seulement à
l'occasion d'un litige portant sur sa nationalité.
II. -
L'arrêt d'appel était également
critiqué pour avoir admis, après la
légitimité de l'enfant, la qualité de
ressortissant britannique de ses parents. La solution était
effectivement douteuse (v. la note précitée, p. 607),
mais la Cour de cassation a refusé de s'engager dans la discussion.
Elle a simplement rappelé que « la preuve d'une
nationalité étrangère
déterminée est, hormis le cas où elle
résulte d'un traité liant la France, pour le juge
français une question de fait qui échappe au
contrôle de la Cour de cassation ».
Cette formule
est en effet couramment reçue (v. Batiffol et Lagarde, t. 1., 6
éd., 1974, nº 155; Boulbès, Dr. fr. de la
nationalité, nº 1039; Derruppé,
« La nationalité étrangère
devant le juge français », cette Revue,
1959.201), encore qu'elle soit quelque peu elliptique. Ce qui est une question
de fait, ce n'est pas la détermination de la nationalité
étrangère, qui ne peut résulter que de la loi
de l'Etat étranger dont la nationalité est en cause, mais
l'interprétation de la loi de cet Etat, [*629] comme
de toute loi étrangère. En l'espèce
l'interprétation du droit britannique était
sûrement très complexe, mais il n'aurait pas
été inconcevable que la Cour de cassation censurŠt une
insuffisance de motifs de l'arrêt attaqué.
III. -
L'arrêt rapporté a également
été amené à préciser la
portée d'une décision judiciaire rejetant une action en
déclaration de nationalité française. La Cour
d'appel, après avoir expliqué, dans les motifs de son
arrêt, pourquoi, à son avis,
l'intéressé ne pouvait se prévaloir de l'article
2-5ç du décret du 6 septembre 1933, en avait tiré la
conclusion, dans le dispositif, qu'il n'avait pas la qualité de
Français.
Cette
affirmation doit s'entendre, précise la Cour de cassation en
réponse au premier moyen, en ce sens que
l'intéressé n'avait pas cette qualité au
regard de l'article 2-5ç dudit décret, seul
invoqué par lui, et que par, conséquent une autre action
en déclaration de nationalité fondée sur
d'autres textes serait recevable.
Cette solution
n'est pas douteuse. Elle est à rapprocher de celle que la Cour de
cassation avait donnée dix ans plus tôt dans une affaire Pellicano (Civ.,
4 févr. 1964, J.C.P., 1965.II.14118, note Aymond,
cette Revue, 1965.667, note Hébraud). Lorsque le
demandeur a fonde son action en déclaration de
nationalité française sur un texte
déterminé, et que les juges du fond constatent qu'il n'en
remplit pas les conditions, ces derniers n'ont pas l'obligation de rechercher
d'office 51 les dispositions d'un autre texte pouvaient être
éventuellement invoquées par
l'intéressé. Il est donc logique que leur décision,
négative et limitée, ne prive pas
l'intéressé du droit de se prévaloir
ultérieurement d'une autre cause d'attribution ou d'acquisition de
la nationalité française.
Cette
conséquence n'est pas en contradiction avec l'autorité erga
omnes attachée par l'article 136 du Code de la
nationalité aux décisions rendues en matière
de nationalité française. En effet, les motifs
étant le soutien nécessaire du dispositif font corps avec
lui et l'article 136 signifie simplement qu'en l'espèce nul rie
pourra à l'avenir prétendre que
l'intéressé est français au regard de l'article
2-5ç du décret de 1933. On voit ainsi que l'arrêt
rapporté concourt avec l'arrêt Israel (Civ.,
24 mai 1949, cette Revue, 1949.501, note Motuisky, D.,
1949.329, note P. L. P.; adde : Civ., 24 févr.
1959, Encaoua, cette Revue, 1959.465,
note Batiffol), mais d'une autre façon, à limiter
l'autorité dite absolue des jugements de nationalité.
L'arrêt Israel a jugé que les motifs n'ont
d'autorité erga omnes qu'en tant qu'ils sont le
soutien nécessaire du dispositif; l'arrêt
rapporté ajoute que le dispositif ne bénéficie
de cette autorité que dans les limites de ses motifs.
Paul
LAGARDE.