Sirey, 1929. 2. 129
1º Colonies, Guinée,
Mariage, Français, Femmes indigènes, Sœurs,
Célébration suivant la coutume locale, Preuve,
Administrateur de cercle, Témoins indigènes, Mariage entre
blancs et gens de couleur, Caractère licite, Français,
Statut personnel, Disposition du Code civil, Inobservation,
Célébration devant un officier d'état civil
(défaut de), Polygamie, Inceste, Nullité, Ordre public.
2º Mariage, Mariage putatif, Colonies, Unions d'un
Français et de deux femmes indigènes, Bon ne foi,
Intention de contracter un véritable mariage (absence d'), Mariage
inexistant, Art. 201 et 202, C. civ., Non-application, Enfants Succession
paternelle, Droits d'enfants légitimes (absence de),
Célébration des unions suivant la coutume
indigène, Offre de preuve, Pertinence (absence de), Rejet (Rép.,
vº Mariage n. 1054 et s.; Pand. Rép. eod. verb. n. 1318 et
s.).
1º La
preuve des unions qu'aurait contractés en Guinée un
fonctionnaire français avec deux femmes de race indigène
suivant la coutume locale, ne peut être établie en justice
par des certificats dans lesquels l'administrateur du cercle affirme, sur la
foi de témoins indigènes, que cet
événement a eu lieu à une date
indiquée d'une façon approximative, sans qu'aucune énonciation
ne permette de connaître les circonstances qui ont pu donner
à ces unions un caractère de publicité ou
solennité, ni même de savoir si les témoins ont
eu une connaissance personnelle des faits ou s'ils ont seulement fait
état de renseignements recueillis indirectement (1) (C.
civ., 46, 194).
En effet, la
teneur de ces certificats, délivrés par un fonctionnaire
du cadre administratif, et seulement pour servir et valoir ce que de droit, ne
fournit pas les garanties équivalentes à celles que la
loi exige dans les cas où il peut être
suppléé par la preuve testimoniale au défaut
d'actes de l'état civil (2) (id.).
Si un Français,
le mariage n'étant plus interdit entre blancs et gens de couleur,
peut se marier en Guinée avec une indigène, il ne peut,
du moins sans s'exposer à des poursuites criminelles, contracter un
second mariage avant la dissolution du premier. (3) (C. civ.
147, 188; C. pén., 340).
En tout cas,
son statut personnel l'oblige à se conformer au Code civil
promulgué dans ladite colonie, notamment en faisant
précéder son union de publications à son
domicile qui reste fixé en France et, s'il y a lieu, d'actes
respectueux (4) (C. civ., 154 et s.; 166 et s.).
Par suite,
à les supposer effectivement
célébrés, les mariages conclus entre un
fonctionnaire colonial français et deux sœurs de race
indigène, selon la coutume du pays, sont nuls au regard de la loi
française, en raison du défaut de
célébration devant l'officier de l'état civil
et en ce qui concerne la seconde union, des vices de b igamie et d'inceste dont
elle est entachée (5) (C. civ., 147, 162, 188; C.
pén., 340).
2º
Au surplus, de telles unions ne sauraient même produire les effets de
mariages putatifs (6) (C. civ., 201 et 202).
Car, si la
mauvaise foi du fonctionnaire français n'est pas, à elle
seule, de nature à mettre obstacle, sauf en ce qui le concerne, aux
effets du mariage putatif, qui persistent en présence de la bonne
foi d'un seul des époux, les art. 201 et 202,
C. civ., ne peuvent, cependant, recevoir application que lorsque les
intéressés ont eu la volonté de contracter un
mariage véritable, et non de s'unir en usant de facilités
dues à un état de civilisation
arriérée dans des conditions entièrement
contraires à l'ordre public (7) (Id.).
Peu importe,
d'autre part, que les femmes indigènes n'aient pas
soupçonné qu'en se mariant simultanément avec
un même homme de race blanche, elles pouvaient commettre un acte
répréhensible, la polygamie étant de
règle et l'inceste nullement interdit dans la plupart des tribus de
leur race, si, dans l'ignorance complète où elles
étaient d'un état des personnes tout différent
du leur, elles n'ont nullement envisagé la fondation d'une famille
au sens de la loi française et n'ont attendu de leur union qu'un
établissement plus ou moins durable leur assurant des avantages
matériels et une protection personnelle (8) (Id.).
En effet,
l'observation de certains coutumes et l'accomplissement de certains rites en
vertu desquels une femme noire peut, sans être consultée,
être livrée à un Européen pour un
temps déterminé n'impliquant nullement l'existence d'un
mariage, fait naître des rapports tout différents,
exclusifs de tout lien entre père et les enfants. sur la
nature desquels aucune erreur n'a pu exister dans l'esprit de quiconque et en
particulier des femmes passivement soumises à la volonté
du chef, ayant toute autorité sur elle (9) (Id.).
Par suite,
de telles unions ne peuvent être considérées
comme des mariages, même nuls, le consentement préalable
des femmes, sans lequel il ne saurait y avoir de mariage, faisant
défaut, et l'intention commune des parties étant de leur
laisser une portée restreinte (10) (Id.).
En
conséquence, l'offre de prouver la célébration
desdites unions suivant la coutume indigène, à l'effet
d'attribuer aux enfants qui en sont issus les droits d'enfants
légitimes dans la succession de leur père, doit
être rejetée comme dénuée de toute
pertinence (11).
(Consorts de Cousin de Lavallière C. Epoux de
La Bernardie). arrêt.
LA COUR;
Attendu que les consorts Jean, Gaston et Paulette de Cousin de
Lavallière ont interjeté appel d'un jugement rendu, le 9
mai 1928, par le tribunal départemental de Vaucluse, qui, leur [*130] refusant la qualité d'enfants
légitimes, a accueilli la demande en partage de la succession de
leur père, formée par leur grand'mère
paternelle, a ordonné la licitation des immeubles en
dépendant et sursis à statuer sur la charge d'une dette
hypothécaire grevant la terre de l'Oiseley; Sur la
qualité d'enfants légitimes : Attendu que
les appelants prétendent [*131] avoir droit
à ce titre comme étant respectivement nés de
deux mariages contractés en Guinée par feu le Cousin de
Lavallière, suivant la coutume du pays, et par suite revendiquent
l'intégralité de la succession de leur père
avec exclusion de la réserve du huitième reconnue
à la mère de ce dernier, laquelle est
décédée en cours de la procédure
régulièrement re[*132]prise
par sa fille, dame de La Bernardie; Attendu que la question qui se
pose à cet égard est donc de savoir à la fois
si la preuve de la célébration de ces unions se trouve
suffisamment rapportée et, dans le cas où il en serait
ainsi, quel serait le caractère de ces unions, si elles peuvent
être tenues pour de véritables mariages, et produire effet
au point de vue de la légitimité des enfants et, par
suite, de leurs droits successoraux; Attendu, en ce qui concerne la
preuve, que les appelants entendent la faire résulter de la
production faite après le jugement de divers documents, tout d'abord
de deux certificats établis sur formules imprimées
portant l'en-tête « Colonie de la
Guinée Française » cercle de
« Kankan » et dans le bas le cachet
officiel de la colonie et de la date du 3 mai 1928; que les intimés
ont émis des doubles sur l'authenticité de ces documents
et la sincérité de la signature non
légalisée de l'administrateur Michelonceli; qu'ils ont
signalé certaines inexactitudes dans l'indication des noms ou
prénoms des femmes indigènes, mères des
appelants, mais que la Cour, sans s'arrêter à ces
critiques, dépourvues de portée sérieuse, doit
s'attacher à apprécier la valeur intrinsèque
de ces pièces; Attendu qu'il y est indiqué seulement
que, sur la foi de deux témoins indigènes de Kankan,
l'administrateur du cercle certifie que H. de Lavallière a
contracté deux unions selon la coutume locale indigène
avec deux sœurs; que la date de ces événements n'y est
rapportée que d'une façon approximative, vers le 6 nov.
1904 pour le premier, vers le 1er déc. 1904 pour le
second; qu'aucune énonciation ne permet de connaître les
circonstances qui ont pu donner à ces unions un caractère
de publicité ou solennité, lieu et forme de la
célébration, nom des témoins, que rien
n'indique si les notables entendus le 8 mai 1928 avaient, ni même
s'ils pouvaient avoir, à raison de leur âge, une connaissance
personnelle des faits accomplis vingt-quatre ans auparavant, ou s'ils ont
seulement fait état de renseignements recueillis indirectement;
Attendu que, dans ces conditions, on ne saurait trouver dans la
teneur de ces certificats délivrés par un fonctionnaire
du cadre administratif, et seulement « pour servir et valoir
ce que de droit », les garanties équivalents
à celles que la loi exige dans les cas exceptionnels, où
il peut être suppliée par la preuve testimoniale au
défaut d'actes de l'état civil; Attendu que
ces certificats sont appuyés par la production de simples lettres
missives renfermant des attestations sonnées par Soufiane Kaba et
autres notables; que, rédigées en une forme
dépourvue de toute caractère d'authenticité
dans un style na•f et peu clair, elles ne donnent que des indications
imprécises, invoquant l'autorité de personnes
décédées qui auraient consenti aux mariages et
constaté le versement des dots par de Lavallière
« suivant la loi musulmane »; Attendu que, quelle que puisse
être la sincérité de ces
déclarations, elles ne peuvent concourir utilement à
établir en justice la preuve des actes invoquées et qu'en
l'état il y a lieu pour la Cour de décider que ladite
preuve tendu ne se trouve nullement rapportée; Attendu que les appelants ont
demandé par des conclusions additionnelles à l'audience
de la Cour à être subsidiairement admis à
rapporter cette preuve par voie d'en quête régulièrement
ordonnée, suivant les modes prévus par le Code de
procédure civile et par la délivrance d'une commission
rogatoire, aux autorités judicaires compétente dans la
colonie; Attendu toutefois que même si, compte tenu d'une
situation toute particulière et des difficultés
inhérentes à un débat judiciaire
engagé dans de pareilles conditions, la Cour devait estimer que
l'offre en preuve pourrait être accueillie dans les termes
où elle a été formulée, il
conviendrait de se demander au préalable quelle en serait
l'efficacité au point de vue de la solution du procès, et
si l'existence régulièrement prouvée de ces
unions, contractés suivant la coutume locale, ne réglant
que le statut personnel des indigènes, aurait
nécessairement pour conséquence l'admission de la demande
des consorts de Lavallière, qui devaient être
déclarés enfants légitimes; Attendu
que, si telle est bien la prétention des appelants, ils ne vont pas
cependant jusqu'à soutenir qu'il s'agit de mariages réguliers
et de nature à produire par eux-mêmes tous effets civils;
qu'ils en reconnaissent la nullité au regard de la loi
française, à raison du défaut de
célébration devant l'officier de l,état civil
et du vice de bigamie; qu'ils se bornent à invoquer les dispositions
des art. 201 et 202, C. civ., et demandent à la Cour de consacrer en
l'espèce, à leur profit, la théorie du mariage
putatif; Attendu que la question de la bonne foi ne paraît
pas posée avec une grande insistance en ce qui concerne de
Lavallière lui-même; qu'il serait bien difficile de
soutenir qu'un Français quelconque, et à plus forte
raison appartenant à son milieu social et ayant reçu la
même éducation, pouvait ne pas se rendre compte qu'en
contractant à moins d'un mois d'intervalle deux mariages avec deux
femmes, et en particulier avec deux sœurs, appartenant à la race
nègre, il transgressait la loi, les préceptes de la
morale et les textes des lois de son pays; que de Lavallière n'avait
manifestement pas entendu assurer cumulativement à ces deux
personnes, ainsi associées à son existence coloniale, le
rang et les prérogatives d'épouses à raison de
l'ignorance où il se serait trouvé du vice entachant de
nullité de telles unions; qu'à cet égard sa
mauvaise foi au moment même de la célébration
est indiscutable, mais qu'elle ne saurait suffire pour mettre obstacle, sauf en
ce qui le concerne personnellement, aux effets du mariage putatif, lesquels
persistent si la bonne foi existe de la part d'un seul des époux;
qu'il y a donc lieu de procéder au même examen en ce qui
concerne les dames Fatou Diana Kaba et Kondié Kaba;
Attendu qu'il n'est pas douteux que ces deux sœurs, ayant toujours
vécu à Kankan parmi les naturels de la Guinée,
dont l'état social est des plus primitifs, ignorantes des mœurs et
coutumes qui servent de fondement aux lois des pays civilisés, n'ont
nullement soupçonné qu'en se mariant
simultanément avec un même homme de race blanche elles
pouvaient commettre un acte répréhensible à
quelque point de vue que ce soit; qu'en particulier si Fatou Diana Kaba, dont
le mariage a eu lieu bien après celui de sa sœur, n'ignorait pas évidemment
l'état de bigamie qui devait en résulter, elle n'avait
aucune conscience de l'empêchement qui s'opposait de ce chef
à sa célébration, puisque, dans la plupart des
tribus de sa race, la polygamie est de règle, et l'inceste nullement
interdit; Mais [*133] attendu que la
question ne se pose pas d'une façon aussi simple et qu'il s'agit en
réalité d'apprécier si les
formalités diverses auxquelles a pu se prêter de Lavallière
en novembre et décembre 1904 peuvent être
considérées comme constitutives d'un véritable
mariage, quels que soient les vices qui pourraient en permettre l'annulation;
Attendu que l'ignorance complète dans laquelle se
trouvaient les dames Kaba d'un état des personnes tout
différent du leur permet d'avoir la certitude qu'elles
n'envisageaient nullement la fondation d'une famille au sens de la loi
française; qu'elles n'attendaient de leurs unions qu'un
établissement plus ou moins durable, leur assurant des avantages
matériels et une protection personnelle; qu'elles n'avaient pas
été préalablement consultées, et qu'ainsi
faisant défaut le consentement sans lequel il ne saurait avoir de mariage (art. 146 C. civ);
qu'en cette matière l'ordre public est particulièrement
intéressé; que le respect de ses prescriptions s'impose
à toute personne, et que, d'évidence, il n'aurait pu
être toléré qu'un haut fonctionnaire
donnât l'exemple scandaleux de la bigamie; que l'intention commune
des parties contractantes était assurément de laisser
leur portée restreinte à ces unions, que ne constatait
aucun acte, et dont la dissolution était toujours possible par
simple répudiation sous la seule condition de non-restitution de la
dot; Attendu que si de Lavallière avait voulu contracter
un mariage en Guinée, il aurait pu le faire, le mariage
n'étant plus interdit entre blancs et gens de couleur (Cass. req. 10
déc. 1838, S. 1839. 1. 492), mais qu'il n'aurait pu sans
s'exposer à des poursuites criminelles, en contracter un second
avant la dissolution du premier, et qu'en tout cas son statut personnel
l'obligeait à se conformer au Code civil, promulgué en
Guinée française, et à faire précéder
son union de publications au lieu du domicile que, fonctionnaire colonial, il
conservait toujours en France (Cass. civ. 10 mai 1880, S. 1880. 1. 250, Refonte
Sirey, P. 1880. 1. 593), et aussi d'actes respectueux,
qu'âgé de 17 ans seulement, il aurait dû
adresser à sa mère, selon la législation alors
en vigueur; Attendu que telle n'a jamais été
son intention; qu'il ne s'est jamais considéré comme
étant dans les liens du mariage puisqu'il s'est montré
à plusieurs reprises, dans sa correspondance, et peu de temps encore
avant sa mort, disposé à se marier en France; qu des
projets précis ont même été ébauchées;
Attendu que si, sous l'influence de sentiments qui sont tout
à son honneur, de Lavallière s'est attaché aux
enfants issus de ces relations d'une durée prolongée avec
chacune de ses femmes, s'il a fait des sacrifices pour assurer leur
éducation en France, du moins n'a-t-il lui-même jamais
paru se tromper sur leur situation; qu'en déclarant leur naissance
d,une façon tardive devant le juge de paix à
compétence étendue de Konakry, le 13 déc.
1925, lui seul les a reconnus, et alors que dans ces actes les mères
se trouvent dénommées il ne leur attribue nullement la
qualité d'épouses; que, s'il avait considéré
ses enfants comme légitimes, il n'aurait pas davantage
jugé utile de faire en leur faveur le testament du 25 mai 1921;
qu'il résulte de la correspondance que ces enfants
n'étaient pas reçus chez leur grand'mère, à
Avignon, et qu'aucune possession d'état ne peut être
invoquée; Attendu qu'il est surabondamment
démontré que l'observation de certaines coutumes et
l'accomplissement des rites par l'effet desquels une femme noire peut, sans
être consultée, être livrée
à un Européen, pour un temps
déterminé, n'implique nullement l'existence d'un mariage;
qu'elle fait naître des rapports tout différents, ne
créant aucun lien entre le père et les enfants, et sur la
nature desquels aucune erreur n'a pu exister dans l'esprit de quiconque, et en
particulier des femmes soumises passivement à la volonté
du chef, ayant toute autorité sur elles; Attendu que les
dispositions des art. 201 et 202 n e peuvent donc produire effet puisque pour
qu'ils soient applicables, encore faut-il nécessairement que les
intéressés aient la volonté de contracter un
mariage véritable, et non de s'unir en usant de
facilité;s dues à un état de civilisation
arriérée dans des conditions entièrement
contraires à l'ordre public; Attendu que
l'espèce est toute différente de celles qui ont bien des
fois donné lieu à des solutions favorables de
jurisprudence, et en particulier à l'arrêt de cassation du
5 janv. 1910 (S. 1912. 1. 249, et la note de M. Naquet); qu'il s'agissait en
effet d'un homme et d,Une femme de même rac e, appartenant au
même milieu, qui s'
étaient mépris sur la nécessité
d'observer, pour la célébration de leur mariage, les
prescriptions de la loi française, ainsi qu'ils y étaient
depuis peu de temps assujettis l'un et l'autre; que leur erreur, commise de
bonne foi, ne portait que sur la formalité de la
cérémonie, et non sur le caractère de leur
union; que leur commune intention était de s'unir d'une
façon non équivoque par les liens d'un
véritable mariage; Attendu que la conviction de la Cour
étant, au contraire, qu'entre de Lavallière et les deux
sœurs Kaba il n'a pas existé de mariage même nul, il ne
saurait être tiré de leur convention des
conséquences que les parties elles-mêmes n'avaient, pour
des raisons d'ailleurs différentes, pu envisager; qu'il y a lieu de
dire les consorts de Lavallière enfants naturels reconnus, et ce
sans faire droit à l'offre en preuve entièrement
dépourvue de pertinence, et confirmer le jugement sur ce point avec
ses conséquences au regard de l'art. 945, C. civ.; . . . Par ces motifs; Confirme,
etc.
Du 17 juin
1929. C. Nîmes, 1re ch., MM. Trouiller,
prés.; Bonnet et Valabrègue, av. (tous deux du barreau
d'Avignon).
Voir aussi : Cass. req. 14 mars 1933, Sirey 1934.1.161
(1 à
11) L'affaire dont a eu à connaître la Cour d'appel de
Nîmes ne présente pas seulement une incontestable
originalité elle met en jeu des intérêts
juridiques importants.
Les faits
peuvent se résumer en quelques mots : un haut fonctionnaire
colonial français épouse simultanément à
Konakry, selon la coutume locale de la Guinée, deux femmes
indigènes. De ces unions naissent en même temps des
enfants. Ceux-ci peuvent-ils, à la mort de leur père,
réclamer la qualité et les droits successoraux d'enfants
légitimes ? Ou bien, au contraire, doivent-ils être
considérées comme enfants naturels, auquel cas
l'ascendant du de cujus pourra à tout le moins
réclamer sa réserve du huitième (art. 915, C.
civ.) ?
Le choix entre
l'une et l'autre de ces solutions, la Cour de Nîmes,
confirmant un jugement du tribunal d'Avignon, a choisi la seconde,
suppose résolues deux questions :
1º Les
unions polygames contractées selon la coutume locale de
Guinée par le Français avec les femmes
indigènes sont-elles régulières et valables en
droit ?
2º Si
elles sont nulles, peuvent-elles être néanmoins
considérées comme valant mariages putatifs et comme
donnant en conséquence aux enfants les mêmes droits
successoraux que si elles étaient régulières
(art. 201 et 202 C. civ.) ?
§ 1er
Sur le sort des
unions polygames contractées selon la coutume locale de
Guinée par le Français avec les femmes
indigènes, il ne peut y avoir de difficultés : ces
unions sont nulles au regard de la loi française.
Cette solution
est indiscutable en ce qui concerne la seconde union; elle constituait, en effet,
le Français en état de bigamie. Or, si la polygamie est,
dans les colonies françaises, respectée par le
législateur comme non contraire à l'ordre public
colonial, ce ne peut être qu'en ce qui concerne les indigènes
exclusivement : il n'y a pas de trouble apporté à
l'ordre social ou à la morale du fait que, conformément à
leurs traditions, les indigènes aient plusieurs femmes; la polygamie
subsiste aux colonies, et à l'usage des indigènes, comme
une véritable institution matrimoniale (V. H. Solus, Tr. de la
condition des indigènes en dr. privé, n.
285). Mais, la situation est tout autre lorsqu"il s'agit de
Français. Les Français, dans les colonies, restent soumis
à la loi française; il est donc bien évident
qu'ils ne peuvent pratiquer la polygamie.
Quant à
l'union contractée, la première en date, elle n'est pas
moins nulle que la seconde. Et cette nullité dérive de
l'impossibilité juridique qu'il y a pour les Français
résidant aux colonies de se soumettre à la loi
indigène en ce qui concerne le mariage.
Sans doute, à
la vérité, pourrait-on songer, pour soutenir la validité
du mariage du Français avec une indigène selon la coutume
locale, à invoquer l'art. 66 du décret du 22 mars 1924
(décret qui réglemente l'organisation judiciaire
indigène en Afrique occidentale française; J. off. du 3
avril 1924). Ce texte dit, en effet, qu' « en matière
civile et commerciale, les différends entre justiciables des
tribunaux français et justiciables des tribunaux
indigènes peuvent, d'un commun accord, être
portés devant les tribunaux indigènes... Il est fait
application des coutumes indigènes ». Or, s'attachant
à ce texte, qui prévoit qu'il peut être fait
application des coutumes locales à un Français en
matière civile, on pourrait être tenté de
prétendre que l'expression « matière
civile » est tout à [*130] fait générale et qu'elle comprend
aussi bien le mariage, contrat civil concernant la famille, que tous les autres
contrats civils concernant le patrimoine. Mais cette interprétation doit être rejetée. En parlant des
matières civiles et commerciales, le décret du 22 mars
1924 ne vise que le droit du patrimoine, à l'exclusion du droit des
personnes et de la famille. Et de même que les indigènes
ne peuvent se soumettre à la loi française en ce qui
concerne l'état civil et le mariage (V. H. Solus, op. cit., n. 261, p. 292 et n. 302; adde, C. d'appel de l'Afrique occidentale française,
26 janv. 1917, Rec. de législ., de doctr. et de jurispr. colon., 1917. 3 190, Rec. gén. de jurispr. et de
législ. colon. et marit., 1925.
1. 11), de même, et inversement, les Français ne peuvent
se soumettre à la loi indigène en ce qui concerne les
mêmes matières. Les règles qui gouvernent le
mariage des Français sont, en effet, des règles d'ordre
public auxquelles les Français ne peuvent ni se soustraire ni
déroger.
Cette
solution a d'ailleurs été consacrée par un
arrêt de la Cour d'appel de l'Afrique occidentale
française du 12 mars 1920 (Rec. de législ., de doctr.
et de jurispr. colon., 1923. 3. 135; Rec.
gén. de jurispr. et de législ. colon. et marit., 1923. 1. 222), qui prononce la nullité d'un mariage
contracté par un Européen et une indigène
selon le rite musulman.
Ainsi
donc, le doute n'est pas possible en ce qui concerne la réponse qui
doit être donnée à la première
question posée : les deux unions contractées par le
Français avec les femmes indigènes selon la coutume
locale de Guinée sont toutes deux nulles.
Au
reste, dans le procès pendant, personne ne soutenait la
validité des mariages litigieux : la Cour d'appel de
Nîmes prend soin de le constater expressément.
§ 2.
Beaucoup
plus délicate est la question de savoir si ces mariages, nuls en
soi, peuvent être considérés comme valant
mariages putatifs.
Les
appelants le soutenaient; et, si extraordinaire que puisse, au premier coup
d'œil, paraître cette solution, nous estimons que c'était
avec raison.
La
Cour de Nîmes n'a pas cru devoir l'admettre.
Aucun
des arguments mis en avant par elle ne nous semble cependant
déterminant. Accoutumés à ne
connaître que des procès mettant en jeu des
règles du droit métropolitain, les magistrats de la Cour
d'appel ont été tout naturellement poussés à
prétendre soumettre les modes de célébration
et de preuve des mariages de droit indigène à des
exigences qui sont celles du droit métropolitain. Or, cette
assimilation, à laquelle se laissent aller aussi bien des magistrats
coloniaux (V. H. Solus, op. cit., n. 265 et s.), les
a conduits à des résultats que nous repoussons
franchement.
Ecartons
tout d'abord un obstacle qu'on aurait pu opposer en l'espèce à
l'admission de la théorie du mariage putatif, amis que la Cour, à
juste titre, n'a pas retenue, obstacle provenant de ce que les unions litigieuses
étaient entachées du vice de bigamie, voire
même d'inceste.
Si,
en effet, certains commentateurs anciens du Code civil ont repoussé
la théorie du mariage putatif lorsque l'union est atteinte du vice
de bigamie (V. Delvincourt, Cours de C. civ.,
t. 1er, p. 145; Toullier, Dr. civ. fr., 6e
éd., par Duvergier, t. 1er, n. 657; Ducaurroy, Bonnier et Roustain, Comment,
du C. civ., t. 1er, n. 349), il est
unanimement admis aujourd'hui que les art. 201 et 202, C. civ., s'appliquent
quelle que soit la gravité du vice qui entache le mariage, et
spécialement si ce vice est la bigamie. La
généralité des termes de l'art. 201,
« le mariage qui a été
déclaré nul produit néanmoins les effets
civils », le commande ainsi. Nombreuses sont d'ailleurs les
décisions judiciaires qui ont admis la théorie du mariage
putatif au cas de bigamie. V. Cass. civ. 5 janv. 1910 (S. 1912. 1. 249), et la
note de M. Naquet; 5 nov . 1913, sol. implic. (S. 19920. 1. 370);
Nîmes, 27 oct. 1919 (S. 1922. 2. 33); et la note de M. Cuq; Paris, 11
févr. 1920 (S. 1921. 2. 60), la note et les renvois.
Ce
point étant donc acquis, il convient, entrant au vif du sujet,
d'examiner les arguments sur lesquels s'est appuyée la Cour de
Nîmes pour refuser d'admettre en l'espèce la notion de
mariage putatif.
Ces
arguments, tels du moins qu'ils semblent pouvoir être
dégagés d'un arrêt très touffu, se
ramènent à deux :
1º
La preuve de la célébration d'un véritable
mariage n'est pas rapportée;
2º
La bonne foi des époux n'est point établie.
I. Relativement
à la question de la preuve de la célébration
d'un véritable mariage. On sait que certains
auteurs, s'attachant à la lettre de l'art. 201, C. civ., qui parle
du mariage « qui a été
déclaré nul », n'appliquent la
théorie du mariage putatif qu'aux mariages frappés de
nullité absolue ou relative, mais non point aux mariages
inexistants; spécialement, et c'est le cas qui nous occupe, ils
refusent de considérer comme mariage putatif un mariage qui a
été célébré par une
personne sans pouvoirs. V . Aubry et Rau, 5e éd., par
Bartin, t. 7, § 460, p. 63, texte et note 1; Baudry-Lacantinerie
et Houques-Fourcade, Des personnes, 3e éd.,
t. 3, n. 1906.
Mais cette
théorie n'a jamais été accueillie en
jurisprudence. Et les tribunaux ont fait produire les effets du mariage putatif
au mariage contracté soit par-devant un prêtre (Bordeaux,
5 févr. 1883, S. 1883. 2. 137; Refonte Sirey, P.
1883. 1. 803) soit par-devant un officier de l'état civil
incompétent (Trib. de la Seine, 23 févr. 1883, sous Cass.
civ . 7 août 1883, S. 1884. 1. 5; P. 1884. 1. 5, avec la note de M.
Labbé), soit par-devant un agent consulaire non qualifié
(Cass. civ. 30 juill. 1900); S. 1902. 1. 223, et la note de M. Wahl), et
même au mariage contracté more judaïco par
des Israélites devenus citoyens français (Cass. civ. 5
janv. 1910, précité et la note de M. Naquet).
Et ces
solutions favorablement accueillies par la doctrine moderne (Planiol et Ripert,
Tr. prat. de dr. civ. fr., t. 2, La Famille, par
Rouast, n. 322; Colin et Capitant, Cours élém. de dr.
civ. fr., 4e éd., t. 1er, p.
188), se justifient aisément. Outre qu'il est toujours possible de
récuser la théorie de l'inexistence en matière
de mariage, il est décisif d'observer que les dispositions des art.
201 et 202, C. civ., sont conçues en termes tout à fait
généraux et s'appliquent à toutes les
nullités, quelle qu'en soit la nature, qu'il s'agisse d'une
nullité tenant à la forme ou qu'il s'agisse d'une
nullité de fond. Il n'y a
donc pas de raisons
juridiquement valables pour que le mariage qui a été
célébré par une personne sans pouvoirs ne
puisse produire les effets d'un mariage putatif.
Cependant, au
défaut de pouvoirs chez la personne qui
célèbre l'union, il ne faut pas assimiler le
défaut de célébration; car, s'il n'y a eu
aucune célébration, c'est le néant, et l'on ne
peut rien tirer du néant. De sorte que, et c'est la
conclusion à laquelle aboutit cette controverse, pour
qu'il puisse y avoir mariage putatif il faut, mais il suffit, qu'il y ait une
forme quelconque de célébration (Planiol, Ripert et
Rouast, op. cit., n. 322, p. 253, texte et note 3), ou tout au
moins une apparence de célébration (V. Rouast, note au Dalloz, 1925.
2. 73).
Ceci
étant, et s'appuyant sur cette solution, les appelants produisaient,
en vue d'établir que les unions contractées par leur
auteur avec les femmes indigènes présentaient bien le
véritable caractère de mariages susceptibles de valoir
comme mariages putatifs, les appelants produisaient, disons-nous, des certificats
de mariage délivrés par l'administrateur du
cercle de Kankan, lesquels se référaient aux
dépositions de deux témoins nommément
désignés et particulièrement
qualifiés, l'un chef de canton, l'autre notable indigène.
Dans ces certificats, il était dit qu'il y avait bien eu mariages
célébrés selon la coutume locale
indigène. Il ne s'agissait donc pas de simples concubinages, de liaisons
telles qu'on en rencontre souvent entre coloniaux et femmes
indigènes. La réalité de la
célébration attestée par un fonctionnaire
français avec indication de la date approximative autorisait
dès lors à considérer que les unions
litigieuses pouvaient, le cas échéant et les autres
conditions étant satisfaites, valoir comme mariages putatifs.
La Cour d'appel
de Nîmes, cependant, refuse de tenir compte de ces certificats; bien
qu'elle reconnaisse qu'ils sont établis sur formule
imprimée portant l'en-tête « colonie de la
Guinée française, cercle de Kankan » et
qu'au bas figure le cachet officiel de la colonie, elle les tient pour
insuffisants. Car, dit-elle, « aucune énonciation ne
permet de connaître les circonstances qui ont pu donner à
ces unions un caractère de publicité ou
solennité, lieu et forme de célébration; nom
des témoins... », et, « dans ces
conditions, ajoute-t-elle, on ne saurait trouver dans la teneur de ces
certificats délivrés par un fonctionnaire du cadre
administratif, et seulement pour servir et valoir ce que de droit, les
garanties équivalentes à celles que la loi exige dans les
cas exceptionnels ou il peut être suppléé par
la preuve testimoniale au défaut d'actes de l'état
civil ».
C'est contre ce
raisonnement que nous croyons devoir nous élever. Il nous
paraît en effet vicié par une assimilation, dont nous
signalions plus [*131] haut le danger, entre
les règles du droit métropolitain relatives à
la célébration et à la preuve du mariage et
les règles du droit indigène. Il importe de ne pas
oublier qu'il ne s'agit pas de faire la preuve d'un mariage valable en droit
français, auquel cas les règles de preuve du Code civil
concernant les actes de l'état civil ne peuvent être
transgressées. Il s'agit seulement d'établir la preuve de
mariages célébrés selon la coutume
indigène de Guinée.Or, à ce propos, il
convient de faire une double observation de portée capitale :
c'est que, d'une part, l'organisation de l'état civil français n'est
point ouverte aux indigènes et que ceux-ci ne peuvent, encore qu'ils
le voudraient, en profiter (V. H. Solus, op. cit., n. 302); c'est
que, d'autre part, l'état civil indigène n'a
été organisé en Guinée que par
arrêté du 11 avril 1919, et encore ne l'est-il que à
titre facultatif (V. H. Solus, op. cit., n. 303,)
Il en
résulte que, nul acte de l'état civil,
français ou indigène, ne pouvant être produit à
l'appui de mariages célébrés, selon la coutume
indigène, vers la fin de l'année 1904 (l'approximation de
la date dont l'arrêt s'étonne provient de ce
défaut d'état civil), aucune autre pièce,
aucun autre acte que les certificats de mariage versés aux
débats, ne pouvait être apporté à
l'appui de la célébration.
Pourquoi alors
refuser d'accorder crédit et force probante à ces
certificats dont on reconnaît par ailleurs le caractère
officiel ?
Cette attitude
est d'autant plus surprenante que lesdits certificats étaient corroborés
par des lettres missives établissant que les consentements requis
avaient bien été échangés devant le
cadi et que la dot avait bien été versée, le tout
suivant la loi musulmane dont relevaient les épouses. Or, si l'on
songe que telles sont précisément les conditions de
validité et les formes de célébration des
mariages indigènes en Guinée (Cf. Arcin, La
Guinée française; races, religions, coutumes, p.
344-347), on est étonné du peu de crédit que
les certificats de mariage ont rencontré auprès de la
Cour d'appel de Nîmes.
On aurait
compris, qu'à tout le moins, et pour s'éclairer, la Cour
acceptât, au lieu de la rejeter sous prétexte qu'elle
n'eût pas été pertinente, la demande
d'enquête formée par les appelants.
H. Relativement
à la question de bonne foi des époux.
La bonne foi des ou de l'un des époux est, en
réalité, il ne faut pas l'oublier, la seule condition
mise par le Code à l'existence du mariage putatif (art. 201 et 202).
Elle consiste, on le sait, donas « le fait, pour un des conjoins
ou pour les deux, d'ignorer l'empêchement qui s'opposait à
la célébration d'un mariage valable ou le vice qui a
rendu irrégulières les formalités de
célébration » (Planiol, Ripert et Rouast, op.
cit., n. 317). Il est admis, d'ailleurs, que l'erreur de
droit ,au point de vue de la bonne foi, doit être traitée
comme l'erreur de fait (V. Cass. civ., 30 juill. 1900; 8 janv. 1910,
Nîmes, 27 oct. 1919, précités; adde, Planiol,
Ripert et Rouast, op. cit., n. 318). Enfin et surtout, bien qu'il
y ait eu9 discussions sur ce point, la majorité de la doctrine et
une jurisprudence très ferme décident que la bonne foi
des époux se présume et que c'est à la
personne qui allègue la mauvaise foi de l'établir (Cass.
crim., 18 févr. 1819, S. et P. chr.; Aix, 11 mai 1858, S. 1859. 2.
17; P. 1858, 1082; Cass. civ. 5 nov. 1913, précité; adde, la
note de M. Binet au Dalloz, 1914. 1. 281).
Forts de cette
jurisprudence, les appelants n'en établissaient pas moins la bonne
foi, sinon de l'époux citoyen français,
solution qui se justifierait difficilement étant donné sa
situation sociale, sa qualité d'administrateur colonial et les
connaissances juridiques que celle-ci supposea,
du moins celle des épouses.
Il est bien
évident, en effet, que non instruites des règles du droit
français, qui interdisait au Français le mariage polygame
selon la coutume locale, placés au surplus dans cette situation
inférieure de soumission et de passivité où se
trouve traditionnellement la femme dans le continent africain, persuadées,
enfin, comme le sont si aisément les indigènes des
colonies que tout ce que fait un haut fonctionnaire français est
conforme au droit et à la légalité, les femmes
indigènes n'ont pas un instant soupçonné les
obstacles juridiques qui pouvaient entacher leurs unions de nullité.
Cela est indiscutable. En se mariant selon la coutume locale, devant le cadi,
elles n'ont pas douté de la validité de leurs mariages.
La correspondance versée aux débats, les lettres des
mères à leurs enfants venus en France le prouvent
d'ailleurs surabondamment.
Et c'est en
s'appuyant sur la bonne foi des épouses que les appelants
entendaient tirer à leur profit les conséquences de la
notion de mariage putatif : de fait, la bonne foi des deux
époux n'est pas nécessaire pour que soit admise la
théorie du mariage putatif : celle de l'un des époux
est suffisante. Elle suffit pour constituer la légitimité
des enfants nés de l'union et pour ouvrir à ceux-ci les
droits successoraux d'enfants légitimes, même à
l'égard de celui des parents qui a été de
mauvaise foi (V. Aubry et Rau, 5e éd., par Bartin, t. 7
§ 4460, p. 68; Planiol, Ripert et Rouast, op. cit., n.
325; Colin et Capitant, op. cit., t. 1er, p. 190; Cf.
parmi les arrêts qui ont été appelés
à se prononcer sur la question du mariage putatif : Cass. civ.
15 janv. 1816, S. et P. chr.; Cass. civ. 6 janv. 1910,
précité, et la note de M. Naquet). Or, telle
était précisément la solution à
laquelle entendaient aboutir les appelants : du seul fait de la bonne foi
des femmes indigènes, la théorie du mariage putatif
devait jouer : les enfants nés des unions litigieuses
étaient légitimes et venaient en cette qualité
à la succession de leur père, même de mauvaise
foi.
La Cour de
Nîmes, ici encore, rejette l'argumentation proposée.
Et,
après avoir accepté que les femmes indigènes
« n'avaient point conscience » de
l'empêchement qui s'opposait à la
célébration du second mariage, frappé de
bigamie et d'inceste, elle affirme que « l'ignorance
complète dans laquelle se trouvaient les dames Kaba d'un
état des personnes tout différent du leur permet d'avoir
la certitude qu'elles n'envisageaient nullement la fondation d'une famille au
sens de la loi française; qu'elles n'attendaient de leurs unions
q'un établissement plus ou moins durable, leur assurant des
avantages matériels et une protection personnelle; qu'elles n'avaient
pas été préalablement consultées et
qu'ainsi faisait défaut le consentement sans lequel il ne saurait y
avoir de mariage » (art. 146, C. civ.).
Cet attendu,
par lequel, dans une forme assez contournée, la Cour de
Nîmes rejette la bonne foi des épouses , nous semble
insuffisant. Plusieurs observations s'imposent à son
égard :
Notons tout
d'abord que la Cour admet ici la notion de
« célébration »,
le mot lui-même est employé par elle, et de
réalité du mariage qu'elle a repoussée plus
haut et qu'elle repoussera encore plus loin; ce qui est pour le moins une
singulière contradiction. Discuter la bonne foi des
époux, c'est admettre qu'il y a bien eu mariage.
D'autre part,
l'attendu que nous visons contient un rappel des règles du Code
civil qui, une fois de plus, révèle la confusion
déjà condamnée entre le mariage de droit
français et le mariage de droit indigène. L'art. 146, C.
civ., est ici tout
à
fait hors de débat; il ne s'agit pas d'apprécier si les
mariages sont valables selon la coutume locale. Et la seule question à
résoudre ici est celle de la bonne ou de la mauvaise foi des
épouses.
Or, sur ce
dernier point, on est bien obligé de reconnaître que la
Cour ne s'est point prononcée avec la netteté qui
eût été nécessaire. Après
avoir admis que les épouses « n'ont pas
soupçonné qu'en se mariant simultanément avec
le même homme de race blanche elles commettraient un acte
répréhensible », que la seconde épouse
« n'a pas eu conscience de l'empêchement qui
s'opposait à la célébration de la seconde
union », &151; ce qui est une reconnaissance formelle de
leur bonne foi, &151; la Cour émet une affirmation
catégorique et générale qui tend à
ruiner sa constatation précédente.
Sans doute, ne
prononce-t-elle pas le mot de mauvaise foi. Mais elle transporte la question
sur un autre domaine. Elle s'applique à faire apparaître
que les femmes indigènes « n'envisageaient point la
fondation d'une famille au sens de la loi
française »; plus loin et dans le même
esprit, elle affirme que « les intéressés
n'avaient point la volonté de contracter un véritable
mariage ».
Qu'est-ce à
dire ? La notion de bonne foi ne doit pas se comprendre en ce sens que les
époux entendent conclure une union de tel ou tel
caractère. Elle consiste, ainsi que nous l'avons déjà
rappelé, dans ce fait que les ou l'un des époux n'ont pas
connu le vice qui entachait leur mariage de nullité Tel
était bien [*132] le cas, dans la
présente affaire, en ce qui concerne les épouses.
Pourquoi, dès lors, tenter de faire dévier le
débat en contestant, sans preuves à l'appui, au mariage
conclu selon la coutume locale le caractère de véritable
mariage ? Que le mariage indigène en Guinée
française réponde à une conception dont notre
morale s'offense; qu'il puisse être considéré
dans la métropole comme une union de qualité
inférieure, soit. Il n'en est pas moins, dans la
société indigène, le mariage, source de
l'organisation familiale; il a rang d'institution juridique; et le juge, comme
le législateur colonial lui-même, doit le respecter. On ne
saurait donc, en l'espèce, dénier aux femmes
indigènes qui s'étaient mariées selon le rite
et les cérémonies locales, de bonne foi et sans
soupçonner l'empêchement qui s'opposait à la
validité de leurs unions, la qualité
d'épouses : leurs enfants devaient e n
bénéficier.
Et quoi qu'en
dise la Cour, il y avait bien similitude entre l'affaire qu'elle avait à
juger et celle qui fut soumise à la Cour de cassation, le 5 janv.
1910 (arrêt précité); dans les deux cas, un citoyen
français se marie suivant les coutumes locales et devient bigame;
dans les deux cas, les épouses qui ignorent le vice de bigamie aux
termes de la loi française, sont de bonne foi; dans les deux cas
enfin, des enfants invoquent la théorie du mariage putatif pour
établir leur légitimité et leur droit de
succession à l'égard de leur père. Or, la Cour
de cassation n'a pas craint d'admettre la notion de mariage putatif.
Nous nous
demandons, en effet, si la solution qu'a consacrée la Cour de
Nîmes n'a pas été inspirée par la
craint e des prétendus dangers qu'il pourrait y avoir à
admettre, en ce domaine, la théorie du mariage putatif. Les femmes
indigènes qui vivent en concubinage avec les Européens ne
trouveraient-elles point dans ce procédé juridique un
moyen commode d'assurer à leurs enfants la
légitimité et les droits successoraux qui en
dérivent ? Nous n'avons, à la
vérité, aucune crainte à cet égard.
L'admission de la théorie du mariage putatif est
subordonnée, en effet, à l'existence d'un mariage
réellement célébré selon
la coutume locale. Or, cette circonstance est tout à fait
exceptionnelle. Il n'est pas, que nous sachions, dans l'usage des coloniaux, à
qui pèsent la solitude et la continence, de procéder de
la sorte...
Henry Solus.
a Cette
constatation révèle l'inutilité de tous les
attendus dans lesquels l'arrêt s'attache à analyser la
mentalité de citoyen français de M. de
Lavallière, son attitude à l'égard de ses
épouses et de ses enfants, ses projets de mariage à son
retour en France. Ces développements sont inutiles et
inopérants.