Sirey 1934. 1. 161
CASS. req. 14 mars 1933
Mariage, Mariage putatif,
Colonies, Unions d'un Français et de deux femmes indigènes, Bonne foi (défaut
de), Intention de contracter un véritable mariage (absence d'), Enfants,
Succession paternelle, Droits des enfants (absence de) (Rép., vº Mariage, n. 1054 et s.; Pand. Rép. eod. verb., n. 1318 et s.).
Pour être admis au bénéfice
du mariage putatif, il faut que l'époux au nom duquel on s'en prévaut ait été
de bonne foi (1) (C. civ., 201, 202).
En conséquence, l'arrêt qui,
se fondant sur les faits et documents de la cause, qu'il énumère et apprécie
souverainement, considère qu'en s'unissent selon les rites du pays à un
fonctionnaire colonial français deux sœurs indigènes n'ont pu croire, de bonne
foi, contracter des unions produisant, notamment au regard des enfants, les
effets de mariages légitimes, rejette à bonne droit la demande par laquelle ces
enfants, en concours avec un ascendant réservataire de leur père, prétendaient
avoir droit à la totalité de la succession en qualité d'enfants légitimes du
défunt (2) (Id.). [*162]
(Consorts de Cousin de Lavallière C. Epoux de la Bernardie).
Les consorts de
Cousin de Lavallière ont formé un pourvoi en cassation contre l'arrêt de la
Cour de Nîmes du 17 juin 1929, rapporté S. 1929. 2. 129, avec la note de M.
Solus. — Moyen unique.
Violation des art. 201 et 202 C. civ., et 7 de la loi du 20 avril 1810,
pour défaut et contradiction de motifs, manque de base légale en ce que l'arrêt
attaqué, sans dénier l'existence de la célébration d'un mariage suivant la
coutume indigène, a cependant refusé de tenir compte des certificats qui
l'attestaient et d'admettre une offre de preuve tendant à établir les dates et
la conformité aux coutumes locales des unions entre les parents des exposants,
sous prétexte que l'union prévue par ces coutu[*163]mes ne pouvait constituer
un mariage au sens de la loi et de l'ordre public français, par suite du défaut de consentement de la part de
la femme, de la possibilité constante pour le mari de la répudier et de ce que
cette union ne créerait pas le lien entre le père et les enfants, et sous
prétexte que les femmes qui la subissaient n'auraient nullement envisagé de
contracter un mariage conforme à l'ordre public français, alors qu'il constatait
que les femmes unies au père des exposants ne pouvaient avoir aucune idée de ce
qu'était le mariage dans une civilisation différente de la leur et que, dès
lors, d'une part, l'unique question à résoudre pour juger de la bonne foi de
ces femmes était celle de savoir si leur union avait été contractée dans les
conditions coutumières du mariage chez elles, les constatations de l'arrêt ne
permettant pas, d'ailleurs, d'autre part, de décider que la Cour d'appel a
détruit la présomption de bonne foi qui s'attache au fait de la célébration
d'un mariage même simplement apparent.
M. le
conseiller Pilon, chargé du rapport, l'a présenté en ces termes.
« — C'est
une page vraiment curieuse de l'histoire de la colonisation que nous fait
parcourir ce pourvoi, qui, au point de vue ethnique nous transporte parmi les
indigènes, de belle race noire, qui peuple l'Afrique occidentale, et, au point
de vue juridique, nous convie à une application nouvelle de la théorie du
mariage putatif, empruntée par les art. 201 et 202, C. civ., au droit
canonique.
« Un
Français appartenant à une vielle famille noble d'Avignon, M. Henri de Cousin
de Lavallière est, en 1904, administrateur de 1re classe des
colonies, en résidence à Kankan, dans la Guinée française. Il a vingt-sept ans.
Comme d'autres coloniaux à qui pèse l'isolement, il va prendre avec lui des
femmes de couleur. Mais, à la différence de cet autre fonctionnaire colonial
conté par Maupassant, et qui, sur une douzaine de vierges noires qui lui sont
offertes, n'en retient qu'une seule et avec discrétion, M. de Lavallière en
choisit deux, les deux sœurs. Et, soit par dilettantisme, soit par prosélytisme
de colonisateur, il aurait accomplit, à l'occasion de ces unions, à quelques
semaines d'intervalle, certains rites nuptiaux de la coutume indigène; en
particulier il aurait versé les dots au père qui lui a donné ses deux filles.
C'est, du moins, ce qui est soutenu par les demandeurs au pourvoi, lesquels ont
produit des certificats et des lettres de notables indigènes sur l'exactitude
desquels l'arrêt attaqué fait, nous le verrons, toutes réserves, et desquels,
pour le dire tout de suite, il ne retient pas la preuve que des mariages selon
la coutume locale indigène aient été contractés.
De ces unions
avec les dames Fatou Diana Kaba et Kondié Kaba, naissent deux garçons et une
fille : Jean, Gaston, Paulette (les demandeurs au pourvoi).
« A ces
enfants, le père, « sous l'influence de sentiments qui sont tout à son
honneur », suivant la juste remarque de l'arrêt attaqué, va faire donner
l'éducation et l'instruction en France. En 1913, il les reconnaîtra
régulièrement devant les juges de la paix de Konakry, comme étant ses enfants
naturels. En 1921, par testament, déposé chez un notaire d'Avignon, il les
instituera légataires de toute sa fortune.
« En 1927, M. de Lavallière décède à Kankin.
Bien qu'ayant habité pendant plus de vingt ans la Guinée, il n'en a pas moins
conservé en France, à Avignon, son domicile d'origine. C'est là que va s'ouvrir
et que sera liquidée sa succession. Et c'est là que va naître entre la mère de
M. de Lavallière et les trois enfants de celui-ci le litige qui, après avoir
été porté devant le tribunal d'Avignon, puis à la Cour d'Appel de Nîmes, vient
aujourd'hui devant vous.
« Mme de
Lavallière prétendra (prétention reprise par sa fille, Mme de la Bernardie,
après le décès de sa mère, survenu au cours du procès), que les trois enfants
laissés par son fils ne peuvent venir à la succession de son père qu'avec la
qualité et des droits successoraux d'enfants naturels, et
avec cette conséquence qu'elle, la mère du de cujus, peut se
présenter à la succession à titre d'héritière réservataire et se faire
attribuer, conformément à l'art. 915, C. civ. le huitième des biens
héréditaires.
« A quoi
Jean, Gaston et Paulette de Lavallière opposent qu'ils ont la qualité et les
droits d'enfants légitimes de leur père; que, par suite, ils ont
droit à l'intégralité de sa succession. Armés d'une consultation d'un
professeur distingué, spécialiste des questions de droit relatives aux
indigènes (cette consultation de M. Solus, qui est au dossier, est aussi
reproduite en note sous l'arrêt attaqué au Rec. Sirey, 1929.
2. 129), ils vont tenir le raisonnement suivant :
« Les deux
unions contractées par M. de Lavallière à Kankan sont nulles à l'égard de la
loi française. Soit. Mais elles valent cependant comme mariages putatifs. Car
la bonne foi d'un seul des époux est suffisante pour qu'un mariage nul produise
les effets d'un mariage putatif, et, en particulier, que soit attribué la
légitimité des enfants issus de cette union. Et cette bonne foi, qui est
présumée, consiste à avoir ignoré l'empêchement qui s'opposait à la célébration
d'un mariage valable. Or, en la cause, si M. de Lavallière n'a pas été de bonne
foi, au sens des art. 201 et 202, C. civ., il en a été autrement de ses deux
épouses. Comment, en effet, dans l'ignorance totale où elles étaient de la loi
et des mœurs françaises, pouvaient-elles se douter qu'il était interdit à un
Français, par son statut personnel, d'épouser simultanément les deux
sœurs ? Donc, chacune des deux femmes ayant contracté de bonne foi un
mariage entaché de nullité, chaque mariage vaut comme mariage putatif, et il
assure les droits d'enfants légitimes aux enfants qui en sont issus.
« Après le
tribunal d'Avignon (devant lequel il ne semble pas que les demandeurs aient
appuyé leur prétention d'enfants légitimes sur la théorie du mariage putatif),
la Cour de Nîmes, par arrêt du 17 juin 1929, va leur refuser cette
qualité : confirmant, la décision des premiers juges, en date de 9 mai
1928, elle dira que les trois enfants reconnus par M. de Lavallière, en 1915,
devant le juge de paix de Konakry, ne peuvent prétendre à la qualité d'enfants
légitimes.
« C'est
l'arrêt attaqué (V. S. 1929, 2, 129).
« De cet arrêt,
un peu long mais fort consciencieusement motivé, il résulte, en substance,
ceci :
« 1º Les demandeurs (enfants de Lavallière) ne rapportent
pas la preuve qu'il y ait eu entre leur père et leurs mères un véritable
mariage selon la coutume locale de Kankan;
« 2º Même
si cette preuve était faite, elle serait dépourvue de pertinence, et, par
suite, il n'y a pas lieu d'ordonner l'enquête, dans les formes du Code de
procédure civile, demandée à cette effet, d'abord parce que, y eût-il un
mariage réel, il ne vaudrait comme putatif que si l'un au moins des époux avait
été de bonne foi; or, dans ces deux unions, il n'y a eu bonne foi ni de la part
de M. de Lavallière, ni de la part des deux femmes de race noire qu'il a
associées à son existence; — et ensuite, parce que, à la base et comme
condition de mariage putatif, doit exister la volonté commune de l'homme et de
la femme de s'unir par les liens du mariage et en vue des effets, notamment en
ce qui concerne la légitimité des enfants, qui en résultent. Rien de tel en la
cause. Pour M. de Lavallière, cela est évident : le fait d'avoir reconnu
ses enfants, comme étant ses enfants naturels, celui de les avoir institués ses
légataires universels, le prouvent. Mais c'est non moins évident pour les dames
Diana Kaba et Kondié Kaba, qui sans même qu'elles y aient consenti, ont été,
contre remise d'une somme d'argent, livrées par leur père et n'ont attendu de
cette union « qu'un établissement plus ou moins durable, leur assurant des
avantages matériels et une protection personnelle ». — Enfin, la
Cour d'appel, pour repousser, comme non pertinente, l'offre d'une preuve par
enquête régulière, fait valoir des considérations [*164] (sur lesquelles nous
reviendrons plus loin) tirées du statut personnel des femmes
indigènes et de l'ordre public.
« Moyen
du pourvoi. — Contre cet arrêt, le pourvoi présente un moyen
qui, pour être, nous pensons de démontrer, non admissible, est rédigé d'une
façon infiniment habile.
« Violation
des art. 201 et 202, C. civ., et 7 de la loi du 20 avril 1810, pour défaut et
contradiction de motifs, manque de base légale, en ce que l'arrêt attaqué, sans
dénier l'existence de la célébration d'un mariage suivant la coutume indigène,
a cependant refusé de tenir compte des certificats qui l'attestaient et
d'admettre une offre de preuve tendant à établir les dates et la conformité aux
coutumes locales des unions entre les parents des exposants, sous prétexte que
l'union prévue par ces coutumes ne pouvait constituer un mariage au sens de la
loi et de l'ordre public français, par suite du défaut de consentement de la
part de la femme, de la possibilité constante pour le mari de la répudier et de
ce que cette union ne créerait pas de lien entre le père et les enfants, et
sous prétexte que les femmes qui la subissaient n'auraient nullement envisagé
de contracter un mariage conforme à l'ordre public français, alors qu'il
constatait que les femmes unies au père des exposants ne pouvaient avoir aucune
idée de ce qu'était le mariage dans une civilisation différente de la leur et
que, dès lors, d'une part, l'unique question à résoudre pour juger de la bonne
foi de ces femmes était celle de savoir si leur union avait été contracté dans
les conditions coutumières du mariage chez elles, les constations de l'arrêt ne
permettant pas, d'ailleurs, d'autre part, de décider que la Cour d'appel a
détruit la présomption de bonne foi qui s'attache au fait de la célébration,
d'un mariage même simplement apparent ».
« Argumentation
du mémoire. — Au soutien de ce moyen, le mémoire développe
une argumentation qui peut être résumé dans les propositions suivants :
« a) La
bonne foi de l'un des époux, condition nécessaire mais suffisante pour qu'un
mariage nul produise les effet d'un mariage putatif, se présume, c'est-à-dire
que ces effets ne peuvent écartés que si l'on prouve la mauvaise foi des époux,
consistant dans leur connaissance des vices de forme ou de fond qui entachaient
le mariage de nullité (Cass. civ. 5 nov. 1913, S. 1920. 1. 370) Or, bien que la
Cour d'appel ait prétendu établir la mauvaise foi des dames Kaba, L'arrêt est
rédigé de telle façon qu'il fait au contraire apparaître leur bonne foi.
« Il n'est pas douteux, dit-il, que ces deux sœurs, ayant toujours vécu à
Kankan, ...n'ont nullement soupçonné qu'en se mariant simultanément avec un homme
de race blanche, elles pouvaient commettre un acte répréhensible à quelque
point de vue que ce soit ».
« b) En
second lieu, cette bonne foi étant admise, il importe peu que le mariage soit
nul pour cause de bigamie, puisque la Cour de cassation a appliqué la théorie
du mariage putatif en cas de bigamie (Cass. civ. 5 janv. 1910, S. 1912. 1. 249,
et la note de M. Naquet; Nîmes, 27 oct. 191, S. 1922. 2. 33, et la note de M.
Cucq; Paris, 11 févr. 1920, S. 1921. 2. 60). — ou parce qu'il a été
contracté selon la coutume indigène, puisque la chambre civile a admis les
effets d'un mariage putatif pour un mariage contracté entre israélites
algériens dans les seules formes de la loi mosaïque (Cass. civ. 5 janv. 1910,
précité). Dans un arrêt de Cass. civ. 30 juill. 1900 (S. 1902. 1. 225. et la
note de M. Wahl), il est dit « que la bonne foi est la seule condition
mise par le législateur à la reconnaissance du mariage putatif, et que cette
bonne foi peut exister, que les parties aient commis une erreur de droit ou qu'elles
se soient trompées en fait, que l'erreur de droit ait porté sur la forme de
l'acte ou sur la capacité des contractants; que la nature et la gravité de
l'erreur sont de simples éléments de fait soumis à l'appréciation souveraine du
juge du fond; que celui-ci, saisi
de conclusions tendant à faire déclarer la bonne foi des époux, ne peut, par
suite, se refuser à cette recherche sous le prétexte que le vice dont est
affecté le mariage le rendrait inexistant ».
« c) Par
conséquent, conclut le mémoire, l'arrêt attaqué se met en opposition avec cette
jurisprudence quand il écarte, comme étant entièrement dénuée de pertinence,
l'offre de preuve qui lui est faite d'un mariage selon la coutume indigène.
L'offre ne serait non pertinente que si elle tendait à prouver un état de
concubinage; or elle vise à établir qu'il a été célébré à Kankan selon les
rites de la coutume locale, un véritable mariage. Et, pour approuver l'arrêt
attaqué, l'on ne peut invoquer le pouvoir souverain des juges du fait en
matière de pertinence, car il a été décidé par la Cour de cassation que
« s'il appartient aux juges du fond d'apprécier souverainement la
pertinence d'une offre de preuve, leur décision est soumise au contrôle de la
Cour de cassation lorsqu'ils se fondent sur des motifs de droit pour rejeter la
preuve des faits articulés » (Cass. civ. 20 juill. 1925, S. 1926. 1. 221).
Or, en la cause, la Cour d'appel, pour écarter l'offre de preuve par enquête,
comme non pertinente, a donné des motifs de droit erronés; car elle s'est fondé
sur l'interprétation qu'elle a cru pouvoir donner aux art. 201 et 202, C. civ.,
en exigent que le mariage putatif soit conforme, quant au consentement, à la
durée, à l'organisation de la famille, à l'ordre public français.
« Pour
toutes ces raisons, l'arrêt de la Cour de Nîmes encourt donc la censure de la
Cour de cassation.
« Nos
observations. — Pour fort intéressante que soit cette affaire,
elle n'offre cependant de difficultés qu'en apparence. Car, dans la réalité, ce
n'est pas une question nouvelle qui est soumise à la Cour; il s'agit seulement
d'une application nouvelle de principes certains relatifs au mariage putatif.
« C'est
pourquoi nous suivrons, dans l'exposé qui va suivre, le plan que voici :
« 1º En
premier lieu, nous rappellerons à la Cour les principes qui régissent le
mariage putatif, d'abord en droit interne, puis en droit international privé;
« 2º En
second lieu, procédant avec soin à l'analyse de l'arrêt attaqué, nous
rechercherons s'il s'est conformé à ces principes ou s'il s'en est écarté.
« 3º
Enfin, du rapprochement de ces donnés de droit et de ces donnés de fait, la
conclusion se dégagera d'elle-même.
« Disons
tout de suite que si, au cours des développement qui vont suivre, il nous
arrive de faire appel de précédents historiques, ce ne sera nullement par souci
d'érudition, mais uniquement à titre d'appoint à la démonstration, aussi
précise et aussi serrée que possible, que nous voulons opposer à la thèse du
pourvoi.
« I. A
quelles conditions y a-t-il mariage putatif ?
« Par
définition, le mariage putatif est un mariage légitime, déclaré nul à cause de
certains vices qui l'affectent, mais auquel la loi, en raison de la bonne foi
des époux, ou au moins de l'un d'eux, attribut les effets d'un mariage valable,
et, notamment, la légitimité des enfants qui en sont issus.
« Inconnu
en droit romain, ignoré des lois et des coutumes de peuples d'Orient (Esmein, Le
mariage en droit canonique, t. 1er, p. 33), le mariage
putatif est une création de droit canonique d'Occident, inspiré par une idée
d'équité répondant à un double sentiment : d'une part, les époux étaient
excusables de ne pas connaître toutes les causes de nullité du mariage (Esmein,
op. cit., relève treize empêchements dirimants) et,
d'autre part, la condition faite dans l'ancien droit, aux enfants naturels,
— « bâtards ne succèdent » — incitant à faire attribuer
le titre et les avantages de la légitimité aux enfants issus d'un mariage que
leurs auteurs avaient, de bonne foi, cru légitime.
« Mais,
malgré ce fondement équitable, le mariage putatif fera, au point de vue de sa
réglementation juridique, figure d'institution d'exception, subordonné à des
conditions sévères, au nombre de quatre :
« 1º Celui
qui invoque les effets d'un mariage putatif doit prouver qu'il y a eu mariage;
« 2º Il faut que les époux, ou l'un d'eux
aient été de bonne foi;
« 3º Il
faut qu'ils invoquent un juste motif d'erreur;
« 4º Le
mariage doit avoir été célébré publiquement (Cf. Morel, Etude historique du
mariage putatif, p. 37).
« Avec le
Code civil, qui, dans les articles 201 et 202, a consacré la théorie du mariage
putatif; gr&acir;ce aussi à l'interprétation libérale à ces textes par votre
jurisprudence (V. notamment l'arrêt
de la Chambre civile du 30 juill. 1900, précité), l'idée d'équité, qui
est à l'origine de cette théorie, a conduit à son élargissement, à son
assouplissement.
« Des
quatre conditions autrefois exigées, les deux dernières (juste cause d'erreur,
célébration publique) ont disparu (V. Planiol et Ripert, Tr. pratique de dr.
civ. fr., t. 2, La famille, par Rouast,
n. 316 et s. et les arrêts cités en notes).
« Mais les
deux premières conditions subsistent : l'existence d'un mariage, la bonne
foi.
« A.
— D'abord, l'on ne peut prétendre, soit comme époux, soit comme enfants,
aux effets du mariage putatif que si l'on fait la preuve qu'il y a eu un
mariage, et non une union quelconque.
« Sans
doute, la plupart des ouvrages de droit civil ne s'arrêtent pas à cette
condition, préoccupés seulement qu'ils sont de la bonne foi des époux. Elle
n'en est pas moins certaine et indispensable. Cela résulte : [*165]
« 1º Du
texte de la loi. L'art. 201 dispose : « Le mariage qui a été déclaré nul produit néanmoins
des effets civils, ...etc. »
« 2º De la
définition et de la notion même du mariage putatif. C'est une fiction. Soit.
Encore faut-il, pour que le mariage annulé produise les mêmes effets que s'il
était valable, qu'il y ait eu un mariage, c'est-à-dire
une union qui, dans la pensée des époux, faisait d'uns des gens mariés, et de
leurs enfants, des enfants légitimes.
« 3º
Certains auteurs, — rares il est vrai, — ont soin de relever cette
condition. « L'application des règles du mariage putatif, — lit-on
au Dalloz, Nouveau code civil annoté, art. 201, n.
21, et Rép. prat., vº Mariage par
Goulé, n. 652, — exige, tout au moins, que le mariage ait existé en
apparence, et qu'il ait été déclaré nul : ces règles ne peuvent être
invoquées lorsqu'il n'est même pas établi que le mariage ait jamais été
célébré ». Et M. Rouast dira de même : « Quant au défaut absolu de
célébration (d'un mariage), il ne peut comporter l'application des art. 201 et
202; on ne peut confondre l'union libre et le mariage » (Planiol, Ripert
et Rouast, op. cit., n. 322, p. 253, et note au Dalloz, 1925.
2. 73-74),
« B. — A
cette première condition du mariage putatif : la preuve qu'il y a eu un
mariage, s'en ajoute une seconde : ce mariage doit avoir été contracté de
bonne foi par les deux époux ou au moins l'un d'eux.
« Condition
qui est étroitement liée à la première, historiquement et légalement. Autrefois,
était de bonne foi l'époux qui avait contracté un mariage légitime dans
l'ignorance de l'un des treize empêchements dirimants édictés par le droit
canonique. Aujourd'hui, avec l'élargissement donné par la loi, la
jurisprudence, la doctrine, un mariage putatif, est de bonne foi, l'époux qui,
soit par une erreur de fait, soit par une erreur de droit, contracte un mariage
entaché d'une nullité relative ou d'une nullité absolue, d'une inexistence, et
cette bonne foi est présumée (V. Planiol, Ripert et Rouast, op.
cit., n. 317 et s., et les arrêts cités en note; Cass. civ. 8
janv, 1930, S. 1930. 1. 257, et les réserves faites par M. Gény dans sa savante
note, sous cet arrêt, sur la notion et la preuve de la bonne foi dans les
relations internationales).
« Mais
aujourd'hui, comme autrefois, être de bonne foi, ce n'est pas croire avoir
consenti à une union quelconque, c'est avoir voulu contracter un mariage
légitime et en produisant les effets, notamment au regard des
enfants. L'histoire le dit, mais aussi la raison : un mariage traité comme
putatif ne peut produire que les mêmes que s'il y avait un mariage réel,
valable. En particulier, la légitimité des enfants est la conséquence exclusive
du mariage légitime. Donc, un époux n'est de bonne foi, au sens des art. 201 et
202, C. civ., que s'il a voulu et cru faire
un mariage légitime. C'est ce que disait expressément Portalis lorsque, dans
l'exposé des motifs du Code civil, il qualifiait le mariage putatif
« celui que les conjoints ont cru légitime » (Dalloz, Jur.
gén., vº Mariage, p. 155, col. 1; Morel, op.
cit., p. 5).
« De même,
il ne nous parait faire aucun doute que, si loin qu'ait été la chambre civile,
par l'arrêt du 30 juill. 1900 (précité), dans la très large application qu'elle
donne aux art. 201 et 202, C. civ., elle exige cependant que les époux aient
cru s'unir en légitime mariage. Si cela n'est pas précisé dans son arrêt, cela
résulte expressément des conclusions de M. l'avocat général Desjardins, en
conformité desquelles l'arrêt a été rendu, quand il oppose les « gens qui
ont cru, qui ont voulu s'unir légitimement » aux
autres (Dalloz, 1901. 1. 320, col. 1).
« Doctrine
également suivie par un arrêt de la Cour d'Hanoï du 19 sept. 1930 (Réc. de
législ., de doctr. et de jurispr. colon., 1932, note
58, avec une note de M. Solus),
lequel, pour faire produire les effets du mariage putatif à l'union d'une indigène avec un Hindou,
sujet musulman français, ne se contente pas de constater que la preuve de la
célébration du mariage a été faite et que la bonne foi de l'épouse « ne
saurait faire aucune doute » : il ajoute et précise qu'elle a cru
« qu'elle s'était unie par les liens légitimes du mariage ».
« Ainsi,
en droit interne, deux conditions sont nécessaires pour qu'une personne puisse
invoquer à son profit les effets du mariage putatif : 1º qu'elle fasse la
preuve qu'il y a eu un mariage; 2º que l'on n'apporte pas la
preuve qu'elle n'a pas été de bonne foi, c'est-à-dire qu'elle n'a pas cru
s'unir en légitime mariage.
« C.
— A ces conditions, viennent s'en ajouter deux autres, lorsque, comme
dans cette affaire, entrent en conflit des lois et des coutumes différentes.
« a)
D'abord, il y a lieu de tenir compte, lorsqu'un Français contracte une union
avec une femme relevant, au point de vue civil, d'une autre loi que la loi
française, de ce principe fondamental du droit international privé, que chaque
personne est régie par son statut personnel.
« D'où il résulte que le mariage
putatif, comme le mariage lui-même, relève du statut personnel, avec cette
conséquence que la bonne foi de l'un des époux, y eût-il preuve de la
célébration d'un mariage, ne peut pas faire produire à cette union les effets
d'un mariage putatif, si la loi personnelle de cet époux ignore le mariage
putatif (V. Rép. de dr. intern. privé, vº Mariage, par
Goulé, n. 456 et s.). C'est ce que professent d'une façon formelle et précise,
notamment : M. Niboyet, Manuel de dr. intern. privé, 2º
éd., n. 627; M. Lerebours-Pigeonnière, Précis de dr. intern. privé, 2º
éd. n. 331. V. cependant M. Bartin, sous Aubry et Rau, Cours de dr. civ. fr., 5º
éd., t. 7, 490, note 2, p.
407; note 14, p. 412; M. Audinet, Des conflits entre les lois personnelles
des époux (Journ. du dr. intern. privé, 1930, p. 322) « La même loi (la
loi française), écrit dans son remarquable Manuel M. le
professeur Niboyet, détermine les effets d'un mariage nul. Le mariage putatif
et les divers effets qui luis ont attachés dépendent donc de cette loi. Par
conséquent, les dispositions du droit français supposent un mariage dont les
effets obéissent à la loi française. Et, plus loin, l'éminent professeur
ajoute : « On se trouve là en présence d'un véritable conflit de
qualification. Selon nous, le mariage putatif est le maintien fictif du mariage
lui-même, et, par suite, on se trouve en présence des effets d'un mariage ne
fût-ce que sur le terrain de la légitimité des enfants. Dès lors, on ne peut
songer à suivre une autre loi que celle qui vise les effets du mariage
valable ».
« Résumant
l'opinion des internationalistes à ce sujet, voici comment s'exprime le Répert.
de dr. intern. privé, vº Mariage, n.
458 : « La bonne foi n'étant qu'une modalité du consentement, doit
être régie par la loi nationale (Audinet, Précis de dr.
intern. privé, 2º éd., p. 289; Despagnet et de Boeck, Précis de dr.
intern. privé, 5º éd., n. 247, p. 714; Robin, Princ. de dr. intern.
privé, t. 2, p. 102; Weiss, Tr. théor. et prat. de dr.
intern. privé, t. 3, p. 574; Baudry-Lacantinerie et Houques-Fourcade, Des
pers., 3º éd., t. 3, n. 2399, p. 885). Cette loi doit déterminer
l'existence, les conditions et les effets du mariage putatif... Quand les deux
époux sont de nationalité différente, il suffit que l'époux français soit de
bonne foi pour que le mariage produise ses effets à son égard et à l'égard des
enfants issus du mariage. Il n'aura pas les mêmes effets à l'égard du
conjoint dont la loi nationale ignore le mariage putatif ».
« Ce qui
revient à dire que, dans le cas d'union entre deux personnes relevant d'un
statut personnel différent, à supposer que soit faite la preuve d'un mariage,
que soit admise la bonne foi d'un seul des époux, il n'y aura les effets du
mariage putatif à l'égard de cet époux (et des enfants issus du mariage), que
si sa loi personnelle admet le mariage putatif.
« b)
Enfin, lorsque la question du mariage putatif se présente sur le plan du droit
international, il y a lieu de se préoccuper de ne pas aboutir à des solutions
qui heurteraient l'ordre public, ou, si cette expression paraît
trop vague, les fondements politiques, moraux, sociaux de la civilisation.
Problème infiniment délicat, pour lequel, cependant, des directives sont
données par des juristes autorisés. C'est ainsi que M. Lerebours-Pigeonnière
écrit ceci (op. cit., 2º éd., p. 286) :
« Sérions la difficulté en considérant d'abord nos relations avec les
Etats de civilisation inférieure ou radicalement différente. Il convient de
montrer une extrême circonspection avant d'avoir égard à leurs institutions,
qui procèdent de conceptions, de buts en opposition avec notre civilisation
gréco-latine et chrétienne. Dans le passé, les Etats européens faisant un
commerce actif avec le Levant ne consentaient pas à une coopération des
institutions juridiques des pays de chrétienté et des pays d'Orient. Le système
des Capitulations, qui faisait bénéficier les Européens de l'exterritorialité
et de la juridiction consulaire, tend à disparaître. Nous devons protéger notre
civilisation occidentale contre une cause d'affaiblissement qui résulterait
pour elle des mœurs des Orientaux établis en Europe, ou de l'assimilation des
Européens par les mœurs orientales ».
« Arrêtons
ici ces citations et résumons-nous. Pour que des enfants issus d'une union entre
un Français et des femmes relevant d'un statut personnel autre que la loi
française, soient considérés comme légitimes par application de la théorie du
mariage putatif, il faut : 1º qu'ils prouvent qu'il y a eu un mariage;
— 2º il faut que ce mariage ait été contracté de bonne foi au
moins par l'un des prétendus époux; — 3º il faut, si un seul des époux a
été de bonne foi, que son statut personnel admette le mariage putatif; ) 4º
et enfin, il y a lieu de tenir compte des nécessités de l'ordre public en
droit international privé.
« Il nous
reste à rechercher si, en la cause, pour refuser aux [*166] enfants nés de M.
de Lavallière et des dames Kaba, indigènes de la Guinée, la qualité et les
droits d'enfants légitimes, l'arrêt attaqué s'est conformé à ces principes.
« II. A.
— Et, d'abord, les enfants de M. de Lavallière et des dames Kaba ont-ils
fait la preuve qu'il y a eu mariage légitime ?
« La Cour
de Nîmes a fort bien vu que c'était là la condition première et fondamentale;
et c'est de ce côté qu'elle fait d'abord porter l'examen des faits de la cause.
« Or, au
cours de la procédure d'appel, les enfants de Lavallière ont, d'une part,
produit certains documents pour prouver le mariage, documents consistant en des
témoignages recueillis, et d'autre part, demandé pour le cas où ces document s
ne seraient pas retenus comme probants, que soit ordonnée une enquête, suivant les
modes prévus par le Code de procédure civile et par une commission rogatoire
délivrée aux autorités judiciaires compétentes de la colonie.
« La Cour
de Nîmes a écarté les attestations produites comme ne prouvant pas qu'il y ait
eu mariage, et elle a refusé d'ordonner l'enquête comme dénués de pertinence.
« Bien que
ces deux décisions puissent être considérées comme rentrant dans son pouvoir
souverain d'appréciation, elles apparaissent, — pour le cas où vous
voudriez exercer votre contrôle, — parfaitement justifiées.
« a) Pour
ce qui est, d'abord des preuves produites, voici, en effet, comment s'exprime
l'arrêt attaqué : « Attendu, en ce qui concerne la preuve, que les
appelants entendent la faire résulter de la production faite, après le
jugement, de divers documents, tout d'abord de deux certificats établis sur
formule imprimée portant l'en-tête « Colonie de la Guinée française,
cercle de Kankan », et dans le bas, le cachet officiel de la colonie et la
date du 3 mai 1928; que les intimés ont émis des doutes sur l'authenticité de
ces documents et la sincérité de la signature non légalisée, de
l'administrateur...; qu'ils ont signalé des inexactitudes...; que la Cour, sans
s'arrêter à ces critiques dépourvues de portés sérieuse, doit s'attacher à
apprécier la valeur intrinsèque de ces pièces; — Attendu qu'il y est
seulement indiqué que, sur la foi de deux témoins indigènes de Kankan,
l'administrateur certifie que de Lavallière a contracté deux unions selon la
coutume indigène avec deux sœurs; que la date de ces événements n'y est
apportée que d'une façon approximative, vers le 6 nov. 1904 pour le premier,
vers le 1er déc pour le
second; qu'aucune énonciation ne permet de connaître les circonstances qui ont
pu donner à ces unions un caractère de publicité ou solennité, lieu et forme de
la célébration, nom des témoins; que rien n'indique si les notables entendue le
8 mai 1928 avaient, ni même s'ils pouvaient avoir, à raison de leur âge, une
connaissance de faits accomplis vingt-quatre ans auparavant, ou
s'ils ont fait seulement état de faits recueillis indirectement; —
Attendu que, dans ces conditions, on ne saurait trouver dans la teneur de ces
certificats, délivrés par un fonctionnaire du cadre administratif et seulement
« pour servir et valoir ce que de droit » les garanties équivalentes
à celles que la loi exige dans les cas exceptionnels où il peut être suppliée
par la preuve testimoniale au défaut d'acte de l'état civil; — Attendu
que ces certificats sont appuyés par la production de simples lettres missives
renfermant des attestations données par Soufiane Kaba et autres notables; que,
dans un style naïf et peu clair, elles ne donnent que des indications
imprécises, invoquant l'autorité de personnes décédées qui auraient consenti
aux mariages et constaté le versement des dots par de Lavallière « selon
la loi musulmane ». Et la Cour de conclure : « Attendu que,
quelle que puisse être la sincérité de ces déclarations, elles ne peuvent
concourir utilement à établir e justice la preuve des actes invoqués, et qu'en
l'état il y a lieu pour la Cour de décider que ladite preuve ne se trouve
nullement rapportée ».
« Ainsi
donc, la première condition pour que se produisent les effets du mariage
putatif au profit des enfants nés des relations de M. de Lavallière avec les deux
sœurs Kaba, fait défaut. Ils ne prouvent pas qu'il y ait eu mariage. Et
lorsqu'on considère combien notre loi se montre, — avec raison, —
sévère pour la preuve du mariage, l'on ne peut qu'approuver l'arrêt attaqué,
dont l'appréciation quant aux preuves produites, est, d'ailleurs, souveraine.
Car il n'y a pas de preuve approximative pour un mariage. Il faut une preuve
absolue, certaine.
« b) Mais,
objecte le pourvoi, puisque les enfants de Lavallière concluaient
subsidiairement à pouvoir rapporter cette prévue par voie d'enquête
régulièrement ordonnée selon le Code de procédure civile, la Cour de Nîmes ne
pouvait écarter cette offre de preuve comme entièrement dénuée de pertinence,
et puisqu'elle fait appel à des motifs de droit pour la décider, elle n'apprécie
pas souverainement la pertinence; elle tombe sous votre contrôle.
« A quoi
nous ferons deux réponses. La première, c'est qu'il était facile à la Cour
d'appel de rejeter la preuve offerte comme non pertinente par des motifs de pur
fait, en déclarant qu'il n'est pas possible, surtout chez les indigènes de
l'Afrique occidentale, de prouver la célébration d'un mariage, dont il n'y a
aucune trace écrite, à l'aide de simples témoignages,
fussent-ils recueillis par une enquête régulière, ne fût-ce que par cette
considération de fait qu'il s'agit d'établir les faits accomplis vingt-quatre
ans auparavant et qui, certainement, n'avaient été constatés par aucun acte
écrit. Faite dans de telle conditions, la demande d'enquête était vouée à un
échec certain. Pas plus que les témoignages produits à la Cour d'appel et pour
les mêmes raisons, ceux qui auraient été ainsi recueillis ne pouvaient offrir
les garanties de certitude, de sincérité que notre loi exige, avec une sévérité
justifiée, pour faire preuve d'un mariage. C'est pourquoi, cette demande
d'enquête, faite dans un dessin purement dilatoire, eût pu être facilement
écartée par la Cour d'appel par des motifs de pur fait, échappant à votre
contrôle.
« Mais si
vous estimiez, comme le soutient le pourvoi, que la Cour de Nîmes a donné des
motifs de droit pour écarter l'offre de preuve comme non pertinente, il nous
faut, pour vous permettre d'exercer votre contrôle, rechercher si ces motifs
sont exacts ou erronés.
« Or,
— et c'est notre deuxième réponse au moyen de pouvoir — ces motifs,
loin d'être erronés, sont strictement conformes aux principes juridiques
rappelés dans la première partie de nos observations. C'est ce qu'il nous faut
maintenant démontrer.
« B.
— La première raison pour laquelle la Cour de Nîmes écarte la preuve
offerte par voie d'enquête, comme non pertinente, c'est que la bonne foi, avec
la signification qu'elle doit avoir pour faire produire à une union les effets
du mariage putatif, et en particulier, la légitimité des enfants, n'a pas
existé et n'a pu exister ni chez M. de Lavallière, ni chez les dames Kaba.
« Pour le
premier, c'est évident et cela n'est pas contesté. Le fait qu'il ait reconnu
ses trois enfants comme étant ses enfants naturels, suffit à le prouver.
« Mais les
deux femmes indigènes n'ont pas non plus été de bonne foi. D'abord, dit la Cour
d'appel, parce que la bonne foi suppose un consentement donné par erreur; or,
dans les unions entre indigènes de l'Afrique occidentale, la femme est livrée
par le père à l'époux, qui lui remet une dot. Dès lors, la femme n'ayant pas
consenti, la question de bonne foi ne peut se poser pour elle.
« Ensuite.
— et ceci est plus important. — la Cour de Nîmes déclare que les
deux dames Kaba eussent-elles voulu elles-mêmes s'unir à M. de Lavallière,
n'avaient pu avoir la croyance dans une union ayant d'autres effets que ceux
des unions indigènes, lesquelles au point de vue des rapports de famille et de
la filiation, n'ont rien de comparable à un mariage légitime. « Attendu,
dispose l'arrêt, qu'il est surabondamment démontré que l'observations de
certaines coutumes et l'accomplissement des rites par l'effet desquels une
femme noire peut, sans être consultée, être livrée à un Européen, pour un temps
déterminé, n'implique nullement l'existence d'un mariage; qu'elle fait naître
des rapports tout différents, ne créant aucun lien entre le père et les
enfants, et sur la nature desquels aucune erreur n'a pu exister dans l'esprit
de quiconque, et en particulier des femmes, soumises passivement à la volonté
du chef qui a toute autorité sur elles ». « En réalité écrit M.
Delafosse, ancien gouverneur des colonies, dans son ouvrage sur Les noirs de
l'Afrique (Paris, 1922, p. 141), nulle part chez les noirs, la
femme n'est considérée comme incorporée à la famille de l'époux : elle
continue, après le mariage, à faire partie de sa propre famille, mais elle en
est distraite momentanément au profit du mari... »
« Or, sur
ce point encore, la doctrine de l'arrêt attaqué est conforme aux principes en
matière de mariage putatif. Un époux avons-nous vu, n'est de bonne foi, au sens
des art. 201 et 202, C. civ., que s'il a cru faire un mariage ayant les effets
d'un mariage légitime, dans l'ignorance de la cause qui le
ferait déclarer nul. Grâce à cette bonne foi, par une fiction bienveillante de
la loi, il produit les mêmes effets que s'il n'avait pas été déclaré nul.
« Mais, en
la cause, les deux dames Kaba, à supposer leurs unions avec M. de Lavallière
prouvées, n'ont pu croire, de bonne foi, constate l'arrêt, qu'elles
contractaient des unions produisant, soit pour elles, soit pour leurs enfants,
les effets d'un mariage légitime, effets que, le jour de leur
union selon le rite indigène, elle ne pouvaient ni connaître ni même
soupçonner. [*167]
« Ce
premier motif de droit donné par l'arrêt attaqué pour écarter comme non
pertinente l'offre d'une preuve par enquête est donc juridiquement exact. Et, à
notre avis, ce seul motif suffirait pour faire rejeter le pourvoi.
« C. — La
deuxième raison donné par l'arrêt, c'est que ces unions, fussent-elles
prouvées, étant régie par le « statut personnel »
des femmes indigènes, ne pouvaient produire les effets du mariage putatif,
selon la loi française.
« Sur ce
point l'arrêt eût pu être moins laconique et plus précis. Il parle seulement
d'unions « contractées selon la coutume locale, ne réglant que le statut
personnel des indigènes ». Mais il n'en est pas moins strictement conforme
à ce principe de droit international privé d'après lequel chaque personne est
régie par son statut personnel.
« C'est en
vertu de ce principe que la Cour de cassation, en 1922, a admis la dame
Gensoul, Française, épouse de Ferrari, Italien, à invoquer le divorce, en
considération de son propre statut, après qu'elle eut recouvré la nationalité
française et bien que la loi nationale du mari ne reconnût pas le divorce
(Cass. civ. 6 juill. 1922, S. 1923. 1. 5, avec le rapport de M. A. Colin et la
note de M. Lyon-Caen).
« Ici, le
même principe signifie que, pour le mariage putatif, le Français est régi par
le droit français l'indigène par la coutume indigène. Dès lors, s'il était
démontré que le colon français a contracté avec une indigène de la Guinée un
mariage valable au regard de la coutume indigène, ce mariage ne permettrait pas
à la femme indigène (ou à ses enfants) de se prévaloir de la théorie française
de mariage putatif. Car la femme indigène n'a pas droit au statut personnel
français. Son statut est un statut indigène. A quel titre donc pourrait-elle
invoquer les droits d'une épouse française en l'absence d'un mariage valable au
regard du mari français ?
« Or, il
ne peut y avoir de mariage valable pour le Français avec l'indigène qu'un
mariage selon la loi française. Mariage parfaitement licite depuis l'arrêt de
la chambre des requêtes du 10 déc. 1838 (S. 1839. 1. 492,; P. 1839. 2. 270),
qui a admis la validité d'un mariage, selon la loi française du Code civil,
entre un Français et une indigène de race noire, mais mariage qui, s'il était
contracté sous l'empire de la loi du 10 août 1927 sur la nationalité, ne
donnerait pas à sa femme
étrangère, de plein droit, la qualité de Française (art. 8 de cette loi, S., Lois
annotées de 1927, p. 1118, et la note).
« Donc,
même en admettant la réalité d'un mariage indigène (et c'est en cela que la
doctrine de l'arrêt attaqué est rigoureusement exacte), ce mariage est nul pour
la loi française, un Français ne pouvant se soumettre à une loi indigène.
« D'ailleurs,
M. le professeur Solus reconnaît que, en la cause, les deux mariages sont nuls
au regard du mari. Cet aveu, qu'il nous soit permis de le dire, est la
condamnation de la thèse soutenue par l'éminent professeur. Car si, au regard
du mari, il n'y a pas de mariage, ce mari français n'a pu communiquer à la
femme indigène ou à ses enfants, quoi que ce soit du statut français.
« Dans le
mariage mixte entre Européens (cas Ferrari), on peut soutenir que le fait par
un époux d'exercer son statut personnel communique à l'autre la jouissance de
ce statut. Mais ceci suppose un mariage valable au regard des deux époux.
« Ici, au
contraire, puisqu'il n'y a pas mariage valable au regard du colon français,
celui-ci n'a pas pu, en se prêtant à un mariage indigène, communiquer à la
femme indigène (ou à ses enfants)
le droit d'invoquer une institution, le mariage putatif, qui est propre au
statut personnel français.
« Ajoutons
que ni l'arrêt de la chambre civile du 30 juill. 1900, ni celui du 5 janv. 1910
(précités), invoqués par le pourvoi, ne se sont écartés des principes que nous
venons de rappeler.
« Dans
l'espèce de l'arrêt de 1910, il s'agit d'indigènes algériens qui ont contracté
en 1872 un mariage selon la loi mosaïque. Mais depuis le décret du 24 oct. 1870
(S. Lois annotées de 1874, p. 11) ces indigènes étaient
devenus citoyens français, ce qui pouvait justifier pour eux le
bénéfice d'une institution, — le mariage putatif, — appartenant à
la loi française qui était désormais leur loi nationale, leur statut personnel.
« Dans
l'arrêt de 1900, il s'agit d'un mariage contracté entre une Française et un
Anglais selon les formes de la loi anglaise. Au cours de difficultés et de
procédures qu'il est inutile de rappeler ici, on soutint que ce mariage devait
produire les effets du mariage putatif parce que les deux époux
avaient été de bonne foi. Votre chambre civile a donc pu admettre la
possibilité de ces effets sans s'écarter des principes que nous avons exposés,
puisque la loi personnelle de l'un des époux au moins (la femme) reconnaissait
le mariage putatif.
« Or, en
la cause, si vous suivez le pourvoi, vous méconnaîtrez ces principes et ces
précédents de jurisprudence. Car la prétention du pourvoi est de faire produire
les effets du mariage putatif à une union dans laquelle le seul époux qui
serait de bonne foi (ou prétendu tel par le pourvoi) relève d'un statut
personnel qui ignore le mariage putatif. En effet, le statut colonial des
indigènes de la Guinée n'est pas celui d'indigènes citoyens français (comme
le sont, par exemple, les indigènes algériens depuis le décret du 21 oct.
1870). — il est celui d'indigènes simplement sujets français (Rép.
de dr. intern. privé, vº Colonies, par
Solus, n. 74; Dalloz, Rép. prat., vº Colonies, n.
647; Rolland et Lampué, Précis de législ. coloniale, n. 255, 260),
avec cette conséquence qu'en ce qui concerne le mariage, ils conservent leur
loi ou plus exactement leur coutume personnelle, laquelle admet le mariage par
coemption et la polygamie et ignore le mariage putatif (Rép. de dr. intern.
privé, vº Colonies, par Solus, n.
148; Arcin, La Guinée française, p. 344, 347; Solus, De la
condition des indigènes en droit privé, n. 284).
« D.
— Et enfin, lorsque la Cour de Nîmes, pour rejeter comme non pertinente
l'offre de preuve qui lui est présentée, invoque cette autre raison que l'ordre
public est intéressé à ce que des unions contractés dans de
telles conditions entre les indigènes de la Guinée et un fonctionnaire français
ne produise pas les effets de mariages putatifs, cela nous semble encore
conforme aux principes en la matière. Nous ne pouvons mieux faire que de
laisser, sur ce point, le parole à ce très grand juriste qu'est M. le
professeur Lerebours-Pigeonnière. Après avoir (Précis de dr. intern. privè, 2º
éd., p. 286) formulé sur l'ordre public les considérations que nous avons
indiquées dans la première partie de nos observations, voici comment il
s'exprime à propos de cet arrêt de la Cour de Nîmes qui vous est aujourd'hui
déféré : « Une circonspection éclairée s'impose vis-à-vis des
coutumes indigènes (fussent-elles teintées d'islamisme) dans nos relations
coloniales. Aussi, malgré l'opinion autorisée de M. Solus, je trouve
judicieuse, pleine de sens commun, la distinction faite par la Cour de Nîmes
entre l'union, selon le rite juif, d'un israélite français et d'une indigène
algérienne, et l'union d'un fonctionnaire français avec une indigène de la
Guinée, la première étant susceptible de conduire au mariage putatif, non la
seconde, la civilisation israélite étant d'un ordre beaucoup plus élevé que
celle des coutumes primitives de la Guinée » (Comp. Trib. civ. de Blida,
31 déc. 1931, Dalloz, 1922. 2. 113, et la note de M. P.
Chauveau).
« III. Et
maintenant, après cette analyse comparative de l'arrêt attaqué, il nous est
facile de conclure : la doctrine qui résulte de cet arrêt doit être
entièrement approuvée, car c'est aune doctrine saine, puisque conforme, en tous
points, aux principes qui régissent le mariage putatif tant en droit interne
qu'en droit internationale privé.
« Pour
prétendre aux effets du mariage putatif, il faut, d'abord, prouver qu'il y a eu
mariage. Or, la Cour d'appel, appréciant souverainement les témoignages
produits à cette fin, déclare qu'ils ne font pas preuve d'un mariage ou d'une
union selon la coutume indigène entre les dames Kaba et M. de Lavallière.
« Puis,
pour écarter comme non ^pertinente une offre de preuve par une enquête
régulière, elle dit : à quoi bon ?Car ces unions selon la coutume
indigène, fussent-elles prouvées, elles ne pouvaient produire les effets du
mariage putatif, puisque nulles à l'égard du colon français, il n'y a bonne foi
ni du côté de l'homme ni du côté des femmes, lesquelles n'ont pu vouloir et
croire contracter une union ayant les effets du mariage légitime, notamment au
regard des enfants. Et, du point de vue de la théorie du mariage putatif, si
largement qu'on veuille l'appliquer, cette constatation souveraine de l'arrêt attaqué suffit, à
elle seule, nous l'avons déjà dit, à faire rejeter le pourvoi.
« Bien
plus, à supposer admise la bonne foi chez les femmes indigènes, cela ne
permettrait pas encore de donner à
ces unions les effets du mariage putatif, parce qu'elles relèvent d'un
statut pers ignore de tels effets, et aussi parce qu'il serait contraire à l'ordre public français que des
enfants, nés de l'union, selon le mode indigène, d'un fonctionnaire français
avec des femmes de couleur, de civilisation arriérée, ayant seulement le statut
de sujets français et non de citoyens français, puissent, dans une succession
ouverte en France et à laquelle se présentent les parents légitimes du défunt,
venir avec la qualité et les droits d'enfants légitimes.
« bref,
c'est par des motifs de droit strictement conformes aux [*168] conditions
d'existence du mariage putatif, que la Cour d'appel a écarté comme non
pertinentes les preuves offertes.
« Et qu'il
nous soit permis d'ajouter que, saine du p0iont de vue juridique, la solution
de l'arrêt attaqué donne aussi toute satisfaction à l'équité et à
la raison.
« L'équité
est, vous le savez, à l'origine et reste à la base de la théorie du mariage
putatif. Or, il y a un demi-siècle, le grand arrêtiste Labbé avait prévu sinon
dans ses circonstances de fait, du moins dans sa formule théorique, l'un des
aspects de la question qui nous retient aujourd'hui. Dans une note que nous
sommes surpris de n'avoir vu mentionnée ni dans le mémoire, ni dans la
consultation de M. Solus (d'autant plus que l'arrêt d'Alger sous lequel elle se
trouve, eût pu fournir un argument au pourvoi) (Alger, 26 mai 1879, S. 1879. 2.
281; P. 1879. 1123), Labbé, partant des idées « tellement
équitables » que contiennent des dispositions des art. 201 et 202,
envisage un élargissement du mariage putatif : « quand le père est de
mauvaise foi, que la mère seule (c'est la prétention du pourvoi) est de bonne
foi, ne devrait-on pas admettre les effets putatifs au profit des enfants, et
même en faveur de la mère, même si sa loi nationale ignore le mariage
putatif ? » Mais, cette concession faite à l'équité, le sens du droit
réapparaît aussitôt. Et il écrit : « Ces art. 201 et 202 ne font-ils
pas partie du système entier des lois sur le mariage ? Ces lois ne
sont-elles pas personnelles ?... Nous signalons ces questions aux juristes
voués au droit international. S'il faut admettre que les art. 201 et 202 sont
du statut personnel, il en découle que si un tribunal français annule un
mariage contracté entre un Français et un étranger, de mauvaise foi par le
Français, de bonne foi par l'étranger, ce tribunal doit consulter la loi
nationale de cet étranger pour savoir si ce dernier doit obtenir au détriment
d'un Français les effets d'un mariage putatif ».
« A cette
question posée par Labbé aux internationalistes, nous avons vu ce qu'ils ont
répondu : le mariage putatif, maintien fictif du mariage lui-même, est,
comme ce dernier, soumis à la loi nationale. Il relève du statut personnel de
chaque individu.
« Comment,
sous prétexte d'équité, porter atteinte à ce principe, fondé sur cette
considération que le mariage et l'une des bases de notre ordre moral et
social ? Comment donner effet, en tant que putatif, à une union dans
laquelle l'un des époux, supposé de bonne foi, relève d'un statut personnel
qui, ignorant le mariage putatif, reconnaît, par contre, la polygamie,
l'inceste, le mariage par coemption ? Comment, par souci de favoriser la
légitimité, admettre l'effet du mariage putatif à l'égard des enfants
seulement, alors que ni l'un ni l'autre des parents ne peut s'en
prévaloir ?
« Et
enfin, à considérer l'enjeu de ce procès, de quel côté est donc l'équité ?
Que les enfants de Lavallière le perdent et voient leur pourvoi rejeté, ils
n'en conserveront pas moins et le nom de leur père qui les avait reconnus, et
les sept huitièmes de sa succession. N'eussent-ils pas été bien inspirés en ne
disputant pas âprement à la vielle mère de M. de Lavallière sa part de réserve,
ce huitième de la succession, alors que leur père, en galant homme, leur avait
déjà donné tout ce qu'il pouvait leur donner : son nom et la presque
totalité de sa fortune ? A ce point de vue encore, l'équité n'est
pas de leur côté.
« Et non
plus la raison. Car si les faits de la cause peuvent, à certains
égards, être favorables à la thèse du pourvoi : ce fonctionnaire colonial
ne paraît avoir eu de relations
qu'avec deux femmes de couleur; il n'en a eu que trois enfants, et il les a
fait bien élever, — à quelles conséquences la solution que l'on vous
demande de consacrer ne pourrait-elle pas conduire ?
« Il en
résulterait que, toutes les fois qu'il prendrait fantaisie colonies de s'unir
avec un nombre quelconque de femmes appartenant aux peuplades de l'Afrique ou
de l'Océanie, en se conformant aux rites nuptiaux des indigènes, les enfants en
nombre quelconque, issus de ces unions, pourraient se présenter à la succession
de leur père, ouverte en France, avec des droits d'enfants légitimes, sous le
prétexte que toutes les mères ont été de bonne foi !
« Non que
nous voulions méconnaître en quoi que ce soit les nécessités et les hauts
devoirs qu'impose la colonisation, surtout vis-à-vis de ces indigènes de la
Guinée qui paraissent animés de sentiments loyaux à l'égard de la France, à en
juger par le fait que voici. La ville de Kankan, où nous a transportés ce
pourvoi, fut prise, en 1891, par ce très grand soldat de notre armée coloniale
que fut le général Archinard, décédé l'an dernier. Or, en 1931, un des chefs
noirs venus de la Guinée à Paris pour l'Exposition coloniale, fut présenté au
général Archinard, et il lui dit : « Dans toutes les cases de nos
villages, toutes les mères apprennent à leurs enfants à bénir ton nom ».
Paroles émouvantes, et qui nous rappelleraient, s'il en était besoin, que nous
devons ne pas heurter les indigènes de nos colonies, ces indigènes qui sont des
sujets français, dans leurs institutions et dans leur coutume; qu'à leur
loyalisme nous devons répondre par une égale loyauté dans les rapports d'ordre
familial ou de caractère pécuniaire qui se nouent avec eux.
« Mais
notre devoir est aussi et surtout d'attirer les indigènes vers notre
civilisation, et non de nous adopter à la leur. En particulier, dans le cadre
des relations familiales, il ne faut faire produire aux unions entre femmes
indigènes et colons français, les effets civils du mariage légitime que si
elles ont été contractés selon les règles et en vue des effets matrimoniaux
édictés par le Code civil. A des unions qui, comme en la cause, auraient été
célébrés selon le rite indigène et sous le signe de la polygamie et de la
livraison de l'épouse à l'époux moyennant argent, faire produire les effets du
mariage putatif français, ne serait pas attirer les indigènes de la Guinée à
notre civilisation, ce serait nous adapter à la leur.
« A une
époque où, dans toutes les parties du monde, la civilisation occidentale est
menacée jusque dans ses fondements, conservons aux règles tutélaires de notre
ordre social, — et les dispositions légales sur le mariage sont de
celles-là, — toute leur forme et toute leur pureté.
« Disons
que Mme de Lavallière, mère de ce fonctionnaire colonial décédé, a droit au
huitième de la succession, de son fils. Car pour elle, sans doute, comme pour
nous, cette part de réserve est l'emblème traditionnel et sacré d'une civilisation qui ne veut
pas périr.
« Si la
Cour partage notre manière de voir, elle rejettera la requête ».
ARRÊT
LA COUR;
— Sur le moyen unique pris de la violation des art. 201 et 202, C. civ.,
et 7 de la loi du 20 avr. 1810, pour défaut et contradiction de motifs, manque
de base légale : Attendu que Henri de Cousin de Lavallière, administrateur
des colonies de Kankan (Guinée) a eu, de ses relations avec deux femmes
indigènes, les sœurs Fatou Diana Kaba et Kondié Kaba, trois enfants, Jean,
Gaston, Paulette; qu'il les a régulièrement reconnus comme étant ses enfants
naturels et les a, par testament, institués légataires de toute sa fortune;
— Attendu que Henri de Lavallière étant décédé en 1927 et sa mère, la
dame de Cousin de lavallière, ayant réclamé à titre d'héritière réservataire
venant en concours avec des enfants naturels le huitième de sa succession,
conformément à l'art. 915 C. civ., les enfants de Lavallière s'y sont opposés,
soutenant qu'ils avaient droit à la totalité de la succession en qualité
d'enfants légitimes du défunt, motif pris que les dames Kaba, leurs mères,
s'étant mariées de bonne foi, selon les rites indigènes, à Henri de Lavallière,
ces unions, bien que nulles à l'égard de celui-ci, valaient comme mariage
putatif et leur donnaient la qualité et les droits d'enfants légitimes; —
Attendu que la Cour d'appel ayant refusé de faire droit à cette prétention, le
pourvoi reproche à l'arrêt d'une part, d'avoir, sans dénier la réalité de ces
mariages indigènes, décidé que les deux dames Kaba, n'étaient pas de bonne foi,
il ne pouvait y avoir mariage putatif, et d'autre part d'avoir écarté comme
dépourvue de pertinence, l'offre par les requérants, à titre subsidiaire, de
prouver par une enquête régulière, selon les formes du Code de procédure
civile, l'existence de ces unions; — Mais attendu que, pour être admis en
bénéfice du mariage putatif, il faut que l'époux, au nom duquel on s'en
prévaut, ait été de bonne foi; — Or, attendu que la cour d'appel, se
fondant sur les faits et documents en la cause qu'elle énumère et apprécie
souverainement, a considéré que les dames Kaba n'avaient pu croire, de bonne
foi, contracter des unions produisant, notamment au regard des enfants, les
effets de mariages légitimes; d'où il suit, abstraction faite de certains
motifs critiqués par le pourvoi, que sont surabondants, que l'arrêt attaqué,
lequel est motivé et ne contient pas de contradiction dans ses motifs, n'a
violé aucun des textes visés au moyen; — Rejette le pourvoi formé contre
l'arrêt de la Cour de Nîmes du 17 juin 1929.
Du 14 mars
1933. — Ch. req.. — MM. Paul Boulloche, prés. Pilon, rapp.;
Durand, av. gén.; Sourise, av.
—————————————————————————————
[*161]
(1-2) L'arrêt
ci-dessus recueilli rejette le pourvoi formé contre l'arrêt qu'avait rendu 17
juin 1929 (S. 1929. 2. 129) la Cour d'appel de Nîmes. Cette dernière, on le
sait, avait refusé de considérer comme mariages putatifs les deux unions
simultanément contractées en Guinée, selon les coutumes locales, par un
administrateur des colonies, avec deux femmes indigènes.
Notre intention
n'est pas de reproduire les critiques que nous avions adressées à la solution
admise par la Cour d'appel (Cf. notre note sous l'arrêt précité; à nos
critiques on ajoutera d'ailleurs celles qu'ont également et unanimement
présentées MM. Gaudemet (Rev. trim. de dr. civ. 1929. 1. 1069;
Dareste, Rec. de législ., de doctr. et de jurispr. colon. 1929.
3. 162; P. Roux, Rec. Gaz.
Trib., 1929. 2e sem., 2. 302). Nous nous bornerons
seulement à indiquer que, en dépit du rejet du pourvoi et faute de trouver dans
l'arrêt de la chambre des requêtes une réplique qui nous paraisse décisive,
nous maintenons intégralement notre point de vue.
Considérant, en
effet, l'arrêt de la chambre des requêtes, nous nous permettrons à son sujet
deux observations.
I
La première
observation a trait à la question fondamentale de l'appréciation de la bonne
foi des épouses et des conséquences juridiques à en tirer.
Nous avions
relevé, dans notre note précitée, la contradiction et la confusion qui
existaient à ce sujet dans l'arrêt de la Cour de Nîmes. En effet. la Cour de
Nîmes commençait par déclarer ce qu'il n'est pas douteux que les dames Kaba
ayant toujours vécu à Kankan parmi les naturels de a Guinée dont l'état social
est des plus primitifs, ignorantes des mœurs et des coutumes qui servent de
fondement des lois des pays civilisés, n'ont nullement soupçonné qu'en se
mariant simultanément avec un même homme de race blanche, elles pouvaient
commettre un acte répréhensible, de quelque point de vue que ce soit; qu'en
particulier si Fatou Diana Kaba, dont le mariage a eu lieu bien après celui de
sa sœur, n'ignorait pas l'état de bigamie qui devait en résulter, elle n'avait
aucune conscience de l'empêchement qui s'opposait de ce chef à sa célébration,
puisque, dans la plupart des tribus de sa race, la polygamie est de règle et
l'inceste nullement interdite... » L'arrêt reconnaissait donc bien la
bonne foi des épouses : il affirmait, en effet, que chacune d'elle était mariée
(l'expression figure deux fois dans les attendus cités) dans l'ignorance du
vice qui entachait leurs unions au point de vue de la loi du mari. Et pourtant,
l'arrêt n'en refusait pas moins d'appliquer aux enfants nés de ces mariages les
effets du mariage putatif. Car, faisant dévier le débat et altérant la notion
juridique de bonne foi, laquelle s'entend expressément « du fait, pour un
des conjoints ou pour toux deux, d'ignorer l'empêchement qui s'opposait à la
célébration d'un mariage valable, ou le vice qui a rendu irrégulières les
formalités de célébration » (Planiol et Ripert, Tr. prat. de dr. civ.
fr., t. 2, La famille, par A.
Rouast, n. 317) la Cour d'appel de Nîmes doutait que « l'ignorance
complète dans laquelle se trouvaient les dames Kaba d'un état tout différent de
leur permet d'avoir la certitude qu'elles n'envisageaient nullement la
fondation d'une famille au sens de la loi française ».
Or, c'est ce
point de vue que semble accueillir la Cour de cassation. En effet, observant
que l'arrêt de la Cour de Nîmes ne contient aucune contradiction dans ses motifs,
la Cour de cassation affirme : « Attendu que la Cour d'appel, se
fondant sur les faits et documents de la cause qu'elle énumère et apprécie
souverainement, a considéré que les dames Kaba n'avaient pu croire, de bonne
foi, contracter des unions produisant, notamment au regard des enfants, les
effets de mariages légitimes ».
Et par
« mariage légitime », —
et ceci apparaît à la lecture du savant rapport de M. le conseiller
Pilon, — la Cour de cassation entend un mariage susceptible de produire
des effets, « un mariage réel, valable ».
Or, la Cour de
cassation, comme la Cour de Nîmes, estime que les unions indigènes en Guinée
n'ont pas ce caractère. M. le conseiller Pilon, approuvant la solution de la
Cour de Nîmes, écrit, en effet, dans son rapport (et nous nous sommes permis de
souligner le passage décisif) : « Les deux dames Kaba, eussent-elles
s'unir à M. de Lavallière, n'avaient pu avoir la croyance dans une union ayant
d'autres effets que ceux des unions indigènes, lesquelles au point de vue
des rapports de famille et de filiation, n'ont rien de comparable à un mariage
légitime ».
Contre cette
opinion, nous nous élevons résolument.
Que le mariage
des indigènes de Guinée, tel qu'il résulte des coutumes locales, —
polygame, livraison de la femme au mari contre versement d'une dot effectuée
entre les mains du père, — réponde à des conceptions dont notre morale
française s'offense : nous en convenons volontiers. Mais cela n'est pas
raison suffisante pour permettre de dire qu'il n'est pas un « mariage
légitime ». Refuser de considérer le mariage indigène, tel qu'il se
pratique en Guinée, comme un mariage réel et valable et lui dénier une valeur
juridique, c'est méconnaître formellement les conséquences du principe
solennellement proclamé par le législateur français, en Guinée comme dans
toutes les autres colonies, de respecter les institutions indigènes. (Sur sa
consécration de ce principe, cf. H. Solus,
Tr. de la condition des indigènes en droit privé, n. 192 et
s.). Or, une telle méconnaissance ne saurait être tolérée. Et c'est pourquoi il
a toujours été admis par les tribunaux coloniaux que le principe de monogamie
n'étant d'ordre public colonial, les mariages polygames des indigènes
continuent de sortir leurs effets juridiques (Cf. H. Solus, op. cit., n. 285);
et de fait le mariage polygame, envisagé comme source de la famille, et de
règle en droit musulman, en droit annamite et en droit hindou. De même, il a
toujours été que les mariages par achat de la femme, sous forme de versement de
dot au père de celle-ci, sont, là où ils se pratiquent, tenus pour pleinement
valables (Cf. H. Solus, op. cit., n. 284). Le mariage polygame
et le mariage par coemption sont donc, en droit indigène, de véritables
institutions juridiques, reconnus par nous comme étant à la base de
l'organisation sociale et familiale indigène dans les colonies où ils sont en
vigueur. Ils sont bien, pour reprendre l'expression de la Cour de cassation,
des « mariages légitimes ».
Ceci étant
posé, d'où vient alors que l'on puisse, en l'espèce, contester la bonne foi des
épouses — Du moment — ce qui est incontestablement le cas,
— qu'elles ignoraient les vices qui, au regard de la loi française,
entachaient leurs mariages avec un citoyen français et que, par ailleurs, les
mariages qu'elles contractent le sont dans les formes de leur propre loi, et,
selon cette loi, à titre de « mariage légitime », la bonne foi des
épouses est entière et leurs enfants doivent être mis à même de s'en prévaloir
en invoquant la notion de mariage putatif.
Telle est
d'ailleurs la solution que, dans une hypothèse toute voisine, admet la Cour de
cassation elle-même. S'agissant, en effet, de mariages célébrés « more
judaïco » entre indigènes israélites devenus, en Algérie,
citoyens français, la Cour de cassation a toujours décidé (Cass. civ. 5 janv.
1910, S. 1912. 1. 249) et elle vient encore d'admettre, le jour même où elle
rejetait le pourvoi formé contre l'arrêt de Nîmes (Cass. req. 14 mars 1933,S.
1933. 1. 168), que de tels mariages vaudraient, à l'égard de l'époux de bonne foi
et des enfants, comme mariages putatifs. Or, ce que la Cour de cassation décide
en cas de mariage more judaïco, pourquoi refuse-t-elle de
l'admettre au cas de mariage célébré suivant les coutumes de Guinée ?
Notre éminent collègue, M. Lerebours-Pigeonnière (Précis de dr. intern.
privé, 2e éd., p 286), approuvé par M. le
conseiller rapporteur, justifie cette différence de solution par la raison
[*162] que « la civilisation israélite est d'un ordre beaucoup plus élevé
que celle des coutumes primitives de Guinée ». Mais, répétons-le, la
question n'est pas là. Il ne s'agit pas, pour résoudre le problème litigieux,
de mesurer le degré respectif des civilisations indigènes en vue de reconnaître
de valeur juridique qu'aux institutions qui procèdent d'une civilisation ayant
atteint un certain degré. Un tel dosage conduirait nécessairement à
l'arbitraire et à l'injustice; et rien n'autorise le juge à y procéder
contrairement à la volonté du législateur. Or, la volonté du législateur est
certaine : elle s'est, nous l'avons dit, manifestée dans toutes les
colonies par la proclamation du principe fondamental du respect des
institutions indigènes. Et ceci au nom de ce principe que nous soutenons que la
femme indigène de Guinée, qui se marie selon le rite de sa coutume, doit être
traitée comme la femme israélite qui se marie more judaïco.
C'est pour
avoir perdu de vue cette notion essentielle propre au droit colonial que la
solution admise par la Cour de cassation nous paraît, à ce premier point de
vue, devoir être formellement rejetée.
Cette
conclusion à laquelle nous conduit la première observation présentée est
d'ailleurs pleinement confirmée par la seconde observation que nous entendons
maintenant formuler.
II
La seconde
observation a trait à la détermination de la loi qui devait être appliquée au
conflit juridique que soulevaient les mariages de M. de Lavallière et des dames
Kaba.
Soulignant, à
très juste raison que, dans les mariages litigieux, les parties relevaient de
statuts juridiques différents, — le mari, citoyen français, de la loi
française, et les femmes, sujettes françaises, de la coutume indigène, —
M. le conseiller rapporteur estime que la solution du conflit devait être
cherchée dans les règles de droit international privé. Or, constatant que les
règles du droit international privé commandent de n'accueillir la notion de
mariage putatif que si le statut de l'époux de bonne foi l'admet lui-même (Cf.
les références citées dans le rapport), il en tire cette conséquence que ni les
dames Kaba ni les enfants nés de leurs unions avec M. de Lavallière ne
pouvaient invoquer le bénéfice du mariage putatif, celui-ci étant inconnu des
coutumes indigènes de Guinée.
Nous sommes au
regret, ici encore, de ne pouvoir nous rallier à l'opinion de l'éminent
conseiller rapporteur. Le conflit dont il s'agit n'est pas, en effet, un
conflit de droit international privé, mais bien un conflit colonial.
Or, ces deux
conflits sont de nature forte différente. (Cf. sur ce sujet, à la vérité assez
peu étudié dans son ensemble : A Girault, La condition juridique des
indigènes dans les pays de protectorat, rapport au
Conseil supérieur des colonies, 26 mai 1923; Et. Bartin, Principe de dr.
internat. privé, t. 1er, p. 17 à 20; P. Niboyet, Manuel
de dr. internat. privé, 2e éd., n. 10 bis, C et
11, IV; H. Solus, op. cit., n. 2 et, surtout, La loi
applicable aux rapports juridiques de droit privé établis entre indigènes et
non indigènes, rapport présenté à la XXIIIe session de
l'Institut colonial international,
Lisbonne, avril 1933).
En effet,
tandis que, à la source même du conflit de droit international privé, se trouve
un conflit de souveraineté, puisque chacune des deux lois en présence est celle
d'un Etat qui a une souveraineté indépendante, il en est tout différemment en
ce qui concerne le conflit colonial.
S'agit-il tout
d'abord de colonies proprement dites, de colonies annexées qui font partie
intégrante du sol national, il n'y a alors qu'in seul Etat souverain : la
France. Le conflit entre la loi indigène et la loi française est alors un
simple conflit de statuts de droit interne, analogue dans son essence aux
anciens conflits de coutumes sous l'ancien Régime.
S'agit-il d'un
pays de protectorat, et bien qu'il y ait cette fois deux Etats en présence,
l'Etat protecteur et l'Etat protégé, il n'y a pas cependant conflit analogue au
conflit de droit international privé : car la souveraineté de l'Etat
protégé ne s'exerce que sous le contrôle et la surveillance de l'Etat
protecteur et les actes législatifs émanant du gouvernement protégé ne peuvent
être mis en vigueur qu'après arrêté de mise en application du représentant de
l'Etat protecteur.
En d'autres
termes, ce qui fait l'originalité et de caractère propre du conflit colonial,
c'est que les deux lois en conflit n'émanent pas de souverainetés différentes
ou absolument indépendantes l'une de l'autre. C'est, du moins lorsqu'il s'agit
de colonies proprement dites, un seul et même Etat souverain qui a proclamé la
coexistence et la force obligatoire des deux systèmes juridiques en conflit,
qui a déclaré chacune des deux lois respectivement applicable à chacune des
deux catégories de sujets de droit. Il n'y a donc pas conflit entre une loi
française et une loi étrangère. Tous les sujets de droits que le conflit
concerne relèvent de la souveraineté ou de la puissance française : il y a
d'un côté un citoyen français et de l'autre un sujet, un protégé, un administré
français, mais non pas un étranger.
Ceci étant, de
cette différence de nature entre le conflit de droit international privé et le
conflit colonial, il convient de tirer une conclusion essentielle : à
savoir que les solutions données au conflit de droit international privé ne
conviennent pas nécessairement au conflit colonial et que l'on ne saurait
purement et simplement résoudre le second comme on tranche le premier.
Qui ne voit
d'ailleurs, — et à titre d'exemple singulièrement probant, — à
quelle solution on aboutirait si, pour résoudre le problème juridique posé par
l'espèce que nous étudions, on appliquait les principes du droit international
privé ? Etant donné, en effet, qu'il s'agit ici d'une question concernant
la forme d'un acte juridique, on devrait appliquer la règle locus regit
actum. Or, tout le monde s'accorde à décider que le mariage
célébré aux colonies entre un citoyen français et un indigène selon les formes
de la loi indigène est nul.
La vérité c'est
que le conflit colonial doit être résolu en vertu de règles qui lui sont
propres et qui sont élaborées en fonction de sa nature même (Pour l'exposé de
ces règles, cf. notre rapport précité à l'Institut colonial international).
Or, l'une de
ces règles, — et c'est à vrai dire la règle fondamentale, — a été
posée par le législateur colonial français lui-même, à savoir : dès qu'un
Français ou assimilé participe à une opération juridique, civile ou
commerciale, avec un indigène, c'est la loi française qui doit être appliquée.
Cette solution de principe qui est consacrée dans les décrets d'organisation
judiciaire des différentes colonies, résulte soit d'une disposition expresse en
ce sens, soit de ce fait que les tribunaux français qui appliquent la loi
française sont seuls compétents à l'exclusion des tribunaux indigènes lorsqu'un
Français ou assimilé est partie ou en cause (Voir l'énumération des textes dans
notre Tr. de la condition des indigènes en droit privé, n.
426. Cf., en ce qui concerne spécialement l'A. O. F., colonie dont relève al
Guinée, le décret du 16. nov. 1924, art. 14).
Au surplus, dès
qu'il s'agit de mariage, et étant donné que les dispositions du droit civil
français à ce sujet sont d'ordre public interne pour le Français, il ne peut
être question d'appliquer aux mariages mixtes d'autre loi que la loi française.
A tous ces
points de vue donc, et conformément aux règles de conflit colonial, c'est bien
la loi française qui devait être appliquée aux mariages conclus entre M. de
Lavallière et les dames Kaba. Il convenait, en conséquence, de faire jouer la
théorie de mariage putatif.
En effet, de
même que c'est par application de la loi française, — loi de conflit
colonial, que nous avons admis la nullité des mariages contracté selon la
coutume locale de Guinée par M. de Lavallière, de même c'est par application de
la loi française que nous nous prononçons en faveur de la mise en œuvre, au
profit des enfants, de la théorie du mariage putatif. La seconde proposition
n'est donc point, en dépit de l'objection que nous adresse M. le conseiller
Pilon, en contradiction avec la première. Bien au contraire, elle en est la
conséquence toute logique.
Nous ajouterons
enfin qu'il y avait d'autant plus de raisons [*163] d'appliquer ici la loi
française et d'accueillir la notion de mariage putatif que les demandeur au
procès, — les enfants de Lavallière, — étaient, on a paru
l'oublier, des citoyens français, et que la solution admise par la cour de
cassation aboutit à ce résultat, pour le moins surprenant, de refuser
d'accorder à des citoyens français le bénéfice des dispositions favorables de
la loi française, de leur propre loi.
*
* *
Si donc, on en
peut juger, les motifs ne maquent pas de regretter la solution consacrée par
l'arrêt du 14 mars 1933, du moins est-il permis d'espérer que cette solution,
qui fait contraste avec les solutions admises par la Cour de cassation
elle-même dans les hypothèses analogues de mariages more judaïco,
restera isolée. Et, puisque la chambre des requêtes a cru devoir, en l'espèce,
s'en rapporter aux appréciations déclarées par elle souveraines de la Cour
d'appel, on peut espérer que l'arrêt de Lavallière, ne sera
considéré, ainsi que l'estime notre collègue M. Lagarde (Rev. trim de dr.
civ., 1933, p. 452), que comme « une décision d'espèce
qui ne saurait lier pour l'avenir les juges du fait ».
Henri Solus
—————————————————————————————
A
comparer: Bethell v. Hildyard (In re Bethell),
(1887) 38 Ch.D. 220 ("A union formed between a man and a woman in a foreign
country, although it may there bear the name of marriage, and the parties to it
may there be designated husband and wife, is not a valid marriage according to
the law of England unless it be formed on the same basis as marriages throughout
Christendom, and be in its essence "the voluntary union for life of one
man and one woman to the exclusion of all others.")