1 Rev.
Egyptienne de droit international 81 (1945)
Les tendances nouvelles de
droit international en matière de nationalité[1]
par Iskandar Assarghy Bey
Juge au Tribunal Mixte du Caire
La première Conférence de codification du droit
international qui sest réunie à La Haye pour
examiner les questions de nationalité, dune importance si
considérable pour les relations entre Etats et pour le bon
aménagement de la société internationale, a
poursuivi le but, plusieurs fois proclamé, de prévenir ou
de résoudre le conflits de nationalité.
«Considérant, dit le préambule de la Convention
signée le 12 avril 1930, quil est de
lintérêt général de la
communauté international de faire admettre par tous ses membres que tout
individu devrait avoir une nationalité et nen
posséder quune seule; reconnaissant ensuite que
lidéal ver lequel lhumanité doit
sorienter dans ce domaine consiste à supprimer tout
ensemble le cas dapatridie et ceux de double
nationalité
».
Nous savons cependant que la divergence des législations et les
conditions économiques et sociales actuelles ont
empêché dobtenir ce résultat de façon
complète. Par ailleurs, le principe de la liberté de
chaque Etat de déterminer par sa législation quels sont
ses nationaux et lobligation, pour les autres Etats, de respecter
cette législation, ayant été
proclamé par les articles 1 et 2 de la Convention, il semble que les
intérêts quon a voulu surtout satisfaire sont
ceux des Etats. Comme les Etats, lorsquils
légifèrent, se placent sur un terrain purement national
et considèrent la question de nationalité dun
point de vue particulariste, nous allons constater que des Etats dont la
législation admettait le [*81] cumul
de nationalité, nont point modifié cette
législation conformément à la Convention et
que dautres ont, par de nouvelles dispositions, admis le cumul
postérieurement à la Convention.
Il semble que la notion même du cumul qui a
été condamnée par la morale internationale,
tend à se réhabiliter pour des raisons dordre
économique, sociologique et politique. Nous allons t‰cher de les
dégager des diverses législations qui lont
admise pour les proposer à lexamen du Congrès
du Caire et conna”tre son sentiment quant à la valeur des
conclusions que notre étude nous a permis de tirer.
«Cest un principe de notre droit, en même
temps quun principe de morale internationale que nul ne peut avoir
deux nationalités», écrivait Weiss à
propos de lart. 26 de la loi Delbruck promulguée par
lAllemagne le 22 juillet 1913. Le second paragraphe de cet article
dispose : «Ne perd pas sa nationalité
lAllemand qui, avant lacquisition dune
nationalité étrangère, aura obtenu sur sa
demande, de lautorité compétente de son Etat
dorigine, lautorisation écrite de conserver sa
nationalité».
Sur la portée de cette disposition, Delbruck son auteur,
après avoir déclaré que «dans des
conditions normales ordinaires, appartenir à deux Etats est une
absurdité, car un homme ne peut servir deux ma”tres»,
ajoutait : «il est vrai que nous reconnaissons quil y
a des cas o/ un sujet allemand se trouvant à
létranger, pourrait avoir un intérêt
à acquérir, à c™té de sa vielle
nationalité, une nouvelle nationalité, et que tout en
possédant cette dernière, il pourrait en même
temps représenter utilement les intérêts de sa
vielle patrie».
Dun autre c™té, dans son discours prononcé
au Reichstag le 27 juin 1912, le Baron de Richthofen a
déclaré : «Nous sommes heureux de
constater que le projet permet aux Allemands, qui pour les motifs
dordre économique sont obligés dacquérir
une nationalité étrangère, de conserver
également la nationalité de lEmpire. Cette
question a été déjà
discutée bien de fois dans la presse étrangère.
On ne saurait nier que les pays, qui subordonnent la faculté
dexercer certaines professions à lacquisition de
leur nationalité, verront dun mauvais œil le
fait de la conservation simultanée de la nationalité
dEmpire. Le pays qui a adressé des protestations
à ce sujet est la Russie. Mais je crois que nous navons
pas à en tenir compte, parce que le projet prévoit que
lAllemand qui acquiert une nationalité
étrangère ne pourra conserver la nationalité
dEmpire que sur sa demande expresse, de sorte quil [*83] sera parfaitement libre de renoncer
à sa nationalité. Pour dautres pays, la
nouvelle situation que la loi se propose créer est très
désirable. Je me borne à rappeler quen
Angleterre, un négociant allemand nest admis à
la Bourse de Londres, que quand il possède la nationalité
britannique.d Il est assurément très pénible
que tout Allemand qui veut faire des affaires à la Bourse de Londres
ait à renoncer à sa nationalité. De plus, dans
les pays de lAmérique latine, il nest plus
facile à un Allemand qui ne possède pas la
nationalité du pays de sa résidence, de soutenir la
concurrence contre ceux qui ont acquis cette nationalité».
Cest donc pour des raisons économiques que
lAllemagne a été amenée à
modifier sa législation pour admettre dune
manière nette et claire le principe du cumul.
Pour lUruguay, pays dimmigration, qui avait le plus
grand intérêt à attirer les
émigrants, dans un but à la fois sociologique et
économique, la même disposition figure à
larticle 1er du décret du 1er
février 1928 dans les termes suivants :
«Ladoption de la qualité de citoyen Uruguayen
nimplique pas la renonciation à la nationalité
dorigine». La doctrine na pas manqué
de critiquer sévèrement cette manière dagir.
Mais, le fait est là, lintérêt de
lEtat a primé les principes de droit reconnus et admis par
la plupart des Etats.
Lorsque lEtat, laissant de c™té son
intérêt particulier, songe à
lintérêt dautres Etats avec lesquels
il projette de former une union, soit en raison du fait que les populations qui
forment tous ces Etats sont de même race et parlent la même
langue, soit pour établir avec ces Etats des rapports de bon voisinage,
nous voyons également appara”tre lidée du cumul
dans sa législation. En effet, aux termes de lart. 24 de
la Constitution espagnole de 1931, il est dit : «La
qualité de citoyen espagnole sera accordée sur le bases
dune réciprocité internationale effective et
moyennant les démarches et formalités qui seront
fixées par une loi, aux ressortissants du Portugal et des pays
hispaniques de lAmérique, y compris le Brésil,
qui résident en territoire espagnol., et en feront la demande, sans
que leur nationalité dorigine en soit perdue ou
modifiée. Dans ces mêmes pays, si la législation
ne sy oppose pas, et quand bien même elles ne
reconna”traient pas le droit de réciprocité, les
Espagnols pourront se faire naturaliser sans perdre leur nationalité
dorigine».
LEspagne républicaine a certainement voulu encourager
les ressortissants des pays nommément désignés
dans cette disposition de loi, qui voudraient sétablir sur
son territoire et qui ont avec [*84] les
Espagnols des liens communs de langue, de race ou même de croyance,
à obtenir la naturalisation espagnole. Ces ressortissants seront
traités sur le territoire espagnol sur le même pied que
les indigènes, seront soumis aux mêmes devoirs et doivent
jouir des mêmes avantages. La loi espagnole a bien prévu
que leur situation sera réglementée par une loi
spéciale, mais malheureusement nos recherches ne nous ont pas permis
de la trouver.
En élargissant davantage lhorizon et en se plaçant
à un point de vue purement politique, ne peut-on concevoir le cumul
de nationalité établi et organisé entre deux
Etats dans le but de resserer entre eux des liens damitié
et de renforcer leur puissance militaire ? Il semble que, juridiquement,
une pareille organisation, est possible. La preuve en est que, au
début de cette grande guerre, M. Winston Churchill, premier Ministre
de Grande-Bretagne, a offert au Gouvernement français daccorder la
nationalité britannique à tous les Français, à
charge de réciprocité, proposition rapportée
en son temps par la presse.
Cette proposition était faite pour cimenter davantage
lalliance militaire existant entre les deux pays afin
déviter leffondrement de la défense
de la France, d˛ au désespoir de ses gouvernants. Le fait
quune grande puissance ait pu faire une pareille offre montre
à suffisance que lidée du cumul de
nationalité, qui paraissait au début du XXe
siècle comme incompatible avec les principes universellement admis
en droit international, parce quelle était confondue avec
la double nationalité, gagne du terrain et pénètre
de plus en plus dans le domaine du droit international, sous une formule et
pour des nécessités nouvelles.
Une telle conception internationale du cumul ne saurait
évidemment être admise sans une organisation particulière
adéquate, par une entente préalable, complète
et sincère entre les Etats intéressés en vue
déviter les fraudes possibles. «Sans doute cette
entente sétablirait-elle plus facilement, sur un continent
donné, entre pays quunit une communauté de
langue, dinstruction ou même simplement
dintérêts. Mais elle ne resterait conforme
à la morale internationale que dans la mesure où elle ne
serait pas en contradiction avec les intérêts de la
communauté générale des peuples, dans la
mesure où, par conséquent, elle ne serait pas lexpression
élargie dun égoïsme
national». Vu de cet angle, le principe du cumul para”t
étroitement lié à la condition des
étrangers. Lon aperçoit les liens étroits qui
unissent, au point de vue où nous nous plaçons ici, les
règles relatives à la nationalité et les [*85] règles relatives à la
condition des étrangers ; car «les deux
problèmes sont lun et lautre les
conséquences de ce grand fait sociologique international
quest le problème de lémigration.
Contentons-nous de constater ici que le principe du cumul ne doit
être condamné que dans la mesure où il na”t du
conflit des intérêts nationaux et dans la mesure
où il ne peut être organisé, ni
résolu du point de vu proprement international»[2].
Mais une fois le cumul organisé et résolu
internationalement, sans porter atteinte à la communauté
internationale, rien nempêche quil ne soit donc
admis par le concert des Nations.
Le décret-loi sur la nationalité
égyptienne du 27 février 1929 a implicitement admis, nous
semble-t-il, le principe du cumul en imposant la nationalité
égyptienne, en son article 1er, à tous ls
ressortissants ottomans qui avaient à la date du 5 novembre 1914
leur résidence habituelle en Egypte et qui ont maintenu cette
résidence jusquà la publication de la
présente loi, et en son article 6, paragraphe 4, en
limposant également aux enfants nés en Egypte
dun père étranger qui lui-même y est
né, lorsque cet étranger se rattache par la race
à la majorité de la population dun pays de
langue arabe ou de religion musulmane.
Parmi ces ressortissants et ces enfants se trouvait certainement un grand
nombre de syriens, de libanais, dirakiens, darabes, qui
avaient une autre nationalité que la nationalité
égyptienne. La loi na pas déclaré
que ces ressortissants ou ces enfants perdaient leur ancienne nationalité
en devenant Egyptiens ou étaient autorisés à
la conserver au même titre que la nationalité
égyptienne.
Nous sommes par conséquent autorisés à
nous demander si lidée même du cumul,
quil e faut pas du tout confondre avec la double
nationalité, ne se trouvait point dans lesprit des
négociateurs du pacte de la Société des
Nations arabes, signé au Caire, le 22 mars 1945 lorsquils
ont déclaré au paragraphe 2 de larticle 2
quun des buts du pacte est de se prêter une forte
assistance mutuelle dans les questions de nationalité, passeports,
visas, exécution des jugements et extradition. Nont-ils
pas eu dans lesprit, pour cimenter la nouvelle
Société des Nations arabes, qui diffère de la
Société de Genève du point de vue de la nature
des Etats membres de la dite société qui ont tous la
même langue, la même croyance et les mêmes
intérêts, dadopter dans un proche avenir, le
cumul ? Tout ressortissant dun des Etats signataires du pacte de
la Ligue des Nations arabes qui résidera sur le territoire dun
autre Etat [*86] pourra acquérir sa
nationalité sans perdre la sienne propre. Il restera
évidemment à régler, dans le cadre de la
nouvelle Société des Nations arabes, les droits et les
devoirs du nouveau citoyen vis-à-vis de sa nouvelle
nationalité, la question du service militaire, du mariage, de la
nationalité des enfants, etc. Nous concluons que cest dans
lintérêt même de la
communauté internationale, et de
linterdépendance de plus en plus grande des nations, que
la notion du cumul sest détachée de celle de la
double nationalité et peut être autorisé à
prendre pied dans le domaine du droit international, avec toute une suite de
nouvelles règles nécessaires à son
installation définitive et à sa consécration
régulière.
Cest pourquoi nous demandons au Congrès
démettre le vœu que «les pays
signataires du pacte de la Société des Nations arabes
adoptent entre eux le cumul, soit en instituant une nationalité
sociale nouvelle «la nationalité arabe» pour les ressortissants des Etats,
membres de la Société des Nations arabes, qui co-existera
avec la nationalité particulière des ressortissants de
chaque Etat, soit en autorisant leurs ressortissants respectifs dacquérir
la nationalité dun des Etats membres du pacte, en
résidant sur son territoire, sans perdre pour cela leur
nationalité propre, et ce, en établissant dans les deux
cas les règles nécessaires à cet
effet».