1. Morrison c. Society of Lloyd's, [1999] A.N.-B. no 2
Morrison c. Society of Lloyd's, [1999] A.N.-B. no 2
New Brunswick Judgments
Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick
Division de première instance
Circonscription judiciaire de Saint-Jean
M. le juge P.S. Creaghan
Entendu: les 15-17 décembre 1998.
Jugement: le 11 janvier 1999.
Traduction: Centre de traduction et de terminologie
juridiques, Université de Moncton.
Nos S/C/1033/97 et S/C/1131/97
[1999] A.N.-B. no 2 | [1999] N.B.J. No. 2 | 208 N.B.R. (2d) 337 | 85 A.C.W.S. (3d) 43
Entre Barry Robert Morrison, demandeur, et The Society of Lloyd's, défenderesse Et entre Thomas Blair Drummie, demandeur, et The Society of Lloyd's, défenderesse
Avocats
Frederick C. McElman, pour le demandeur Barry Morrison. Peter T. Zed, c.r., pour le demandeur Thomas Drummie. Terrence Teed, Peter Howard et Eliot Kolers, pour la défenderesse.
** Traduction **
M. LE JUGE P.S. CREAGHAN
1 La défenderesse
sollicite des ordonnances portant suspension des actions que deux demandeurs
ont introduites contre elle au Nouveau-Brunswick pour le motif que l'Angleterre
est l'endroit propice à l'instruction de ces actions.
2Dans la cause no
S/C/1033/97, le demandeur Barry Morrison prétend qu'il a été victime des
manoeuvres frauduleuses de la défenderesse, laquelle l'a incité à établir un
rapport contractuel avec elle et d'autres personnes, et que les contrats qu'il
a conclus avec la défenderesse, ses mandataires et ses représentants sont donc
nuls, y compris toute convention prévoyant que les différends entre les parties
sont tranchés par les tribunaux d'Angleterre conformément au droit anglais.
3Dans la cause no
S/C/1131/97, le demandeur Thomas Drummie prétend, à l'instar de M. Morrison,
que les contrats qu'il a conclus avec la défenderesse, ses mandataires et ses
représentants ne sont pas exécutoires à son endroit, mais il prétend en outre
que la défenderesse a eu tort de se présenter à lui sous un faux jour au moyen
d'assertions inexactes et frauduleuses avant la conclusion des conventions et
qu'il a droit à des dommages-intérêts par suite de ces déclarations inexactes
et frauduleuses sous le régime de la responsabilité civile délictuelle.
4Parce que l'on a
prétendu que la demande de M. Drummie portait également sur un acte fautif qui
aurait été commis avant que les parties ne concluent une quelconque convention,
et donnait lieu à une demande en dommages-intérêts distincte des questions
d'ordre contractuel, ces affaires n'ont pas été entendues en même temps, du
consentement des parties, mais l'une après l'autre.
5J'ai accédé à
cette demande parce que les parties étaient d'accord, mais à vrai dire, je ne
saisis pas la distinction entre la demande de M. Morrison et celle de M.
Drummie. Elles découlent toutes deux de circonstances semblables, sinon
identiques, et la véritable question que je dois trancher ne dépendra pas de la
manière dont les exposés de la demande sont actuellement rédigés.
6Par conséquent,
j'estime pouvoir trancher les motions, dans lesquelles on demande la même
mesure de redressement, dans la même décision.
7Ce faisant, il
serait peut-être utile de rappeler brièvement certaines des circonstances qui
donnent lieu au litige entre les parties et qui amènent les demandeurs à
solliciter la mesure de redressement précise demandée dans le cadre de la
présente motion.
8Je me dois de
souligner que la question dont je suis saisi a été débattue dans plusieurs
affaires aux États-Unis et les résultats ont été assez uniformes. Voir
Haynsworth, 121 F.3d 956; Allen c. Lloyd's of London, 94 F.3d 923; Shell c.
R.W. Sturge, Ltd., 55 F.3d 1227; Bonny, 3 F.3d 156; Roby, 996 F.2d 1353; Riley
c. Kingsley Underwriting Agencies, Ltd., 969 F.2d 953. On me renvoie tout
particulièrement à la décision Richards c. Lloyd's of London, 135 F.3d 1289,
dans laquelle les juges majoritaires ont suivi les décisions d'autres cours de
circuit fédérales américaines que j'ai mentionnées et ont conclu que les
citoyens américains ne pouvaient pas intenter une poursuite aux États-Unis en
raison des clauses attributives de compétence et des clauses portant sur le
choix de la loi applicable auxquelles ils avaient consenti. La prétention selon
laquelle ces personnes avaient été frauduleusement incitées à conclure les
conventions en question avec Lloyd's et selon laquelle le droit américain des
sûretés leur permettait de se soustraire aux obligations qu'elles avaient pu
contracter aux termes des conventions passées avec Lloyd's a été examinée en
profondeur. Dans des circonstances identiques à celles qui nous occupent ici,
les tribunaux des États-Unis ont décidé que puisque ces personnes avaient
accepté l'attribution de compétence à l'Angleterre ainsi que l'application du
droit anglais et puisqu'il n'y avait aucune circonstance prépondérante
ressortissant à l'équité qui entachait leur validité, les conventions établissant
l'attribution de compétence ainsi que le choix de la loi applicable devaient
être entérinées et appliquées.
9Je ne fonderai
pas ma décision en l'espèce sur ces précédents américains bien que ceux-ci
méritent d'être pris en compte. Toutefois, dans la décision Richards, la Cour
d'appel du Neuvième Circuit a fait un énoncé succinct de circonstances qui
s'appliquent en l'espèce, énoncé qui aurait pu être rédigé d'après la preuve
présentée dans le cadre des présentes motions et que je citerai plutôt que de
le réécrire :
Lloyd's est un marché dans lequel plus de trois cents agences de souscription rivalisent pour conclure des opérations de souscription. Conformément à la Lloyd's Act de 1871 à 1982, Lloyd's supervise et régit la concurrence qu'elles se livrent en matière de souscription à l'intérieur de son marché. Le marché n'accepte pas les primes et n'assure pas les risques. Au contraire, les agences de souscription, ou syndicats, rivalisent pour conclure les opérations d'assurance. Chaque agence de souscription est régie par un agent directeur qui est responsable de la situation financière de son agence. L'agent directeur doit attirer non seulement les opérations de souscription des courtiers mais aussi les capitaux qui servent à assurer les risques pris en charge.
Les Names fournissent les capitaux de souscription. Ils deviennent membres de la Society of Lloyd's au moyen d'une série de conventions, d'une preuve établissant leurs ressources financières et du dépôt d'un crédit documentaire irrévocable en faveur de Lloyd's. Pour devenir un Name, il faut se rendre à Londres pour y accepter les risques que suppose la participation à un syndicat et y signer un engagement général. L'engagement général est un document de deux pages qui contient une clause attributive de compétence et une clause déterminant la loi applicable (collectivement appelées les "clauses de sélection ") sur lesquelles repose le présent litige. Ces clauses sont ainsi rédigées :
2.1 Les droits et obligations des parties qui découlent de l'appartenance du membre à Lloyd's ou de la souscription d'assurances auprès de Lloyd's, ou s'y rapportent, et toute autre question mentionnée dans le présent engagement sont régis par les lois de l'Angleterre et interprétés conformément à ces lois.
2.2 Chacune des parties aux présentes reconnaît irrévocablement que les tribunaux de l'Angleterre ont la compétence exclusive de trancher tout différend ou toute controverse de quelque nature qu'ils soient qui découlent de l'appartenance du membre à Lloyd's ou de la souscription d'assurances auprès de Lloyd's, ou s'y rapportent...
En devenant membres, les Names obtiennent le droit de participer aux agences de souscription de Lloyd's. Toutefois, les Names ne font pas directement affaire avec Lloyd's ni avec les agents directeurs. Ils sont plutôt représentés par des agents des membres qui, conformément à la convention, ont un rapport fiducial avec les Names qu'ils représentent. La personne qui devient Name choisit le syndicat auquel elle désire participer. En prenant cette décision, la personne doit en grande partie se fier aux conseils de son agent des membres. Les Names adhèrent habituellement à plus d'une agence de souscription afin de répartir les risques entre différents genres d'assurance. Lorsqu'un Name assume une obligation de souscription, ce Name n'est responsable que de sa part des pertes d'une agence, mais sa responsabilité est illimitée relativement à cette part.
10Inutile de dire qu'il y a eu de lourdes pertes et les demandeurs cherchent à se prévaloir des règles de droit régissant les sûretés au Nouveau-Brunswick. Ils formulent une allégation de fraude en ce sens qu'ils prétendent que c'est par tromperie que la défenderesse les a incités à conclure les conventions avec elle du fait qu'elle a dissimulé des renseignements concernant les conséquences possibles des risques pris en charge et les a frauduleusement exposés à contracter des dettes qu'ils doivent maintenant acquitter en vertu des conventions qu'ils ont conclues.
11La question à
trancher en ce qui concerne les deux motions dont je suis saisi est celle de
savoir si les demandeurs devraient avoir le droit d'intenter une action à la
défenderesse dans notre ressort plutôt qu'en Angleterre.
12Pendant le débat
sur l'affaire Morrison, j'ai entendu de longues observations concernant des
objections préliminaires à la preuve produite par la défenderesse et d'autres
questions de procédure qui ont été tranchées oralement à l'audience comme on le
constatera en se reportant au dossier au besoin.
13En ce qui
concerne le fond, l'avocat de M. Morrison a prétendu qu'en raison des
allégations d'assertion frauduleuse et de violation des règles de droit
régissant les sûretés au Nouveau-Brunswick, les conventions que M. Morrison a
passées avec Lloyd's devraient être annulées et ce dernier ne devrait pas être
tenu responsable relativement à des obligations qui découlent de ces
conventions, y compris les clauses portant attribution de compétence et
détermination de la loi applicable.
14Cet argument a
été examiné en profondeur et rejeté, dans le cadre de motions introduites
devant la Division générale de la Cour de l'Ontario, dans la décision Ash et
al. c. Corp. of Lloyd's et al. (1991), 6 O.R. (3d) 235.
15Le juge McKeown a
fait un examen détaillé du droit qui s'applique aux questions dont je suis
saisi et il a conclu qu'il devait exercer son pouvoir discrétionnaire de
prononcer la suspension de l'instance compte tenu des facteurs énoncés dans
l'arrêt The Eleftheria, [1969] 2 All E.R. 641.
16En ce qui concerne
le fait que les demandeurs ont reconnu que les tribunaux de l'Angleterre ont la
compétence exclusive de trancher tout différend ou toute controverse de quelque
nature qu'ils soient qui découlent de l'appartenance [du membre] à Lloyd's ou
de la souscription d'assurances auprès de Lloyd's, ou s'y rapportent, notre
Cour a déjà dit ce qui suit : "lorsqu'une action est introduite devant un
tribunal qui pourrait assumer la compétence malgré un contrat dans lequel les
parties ont convenu que les différends seront tranchés dans un autre endroit,
le tribunal sursoie à l'instance introduite en violation de la clause
attributive de compétence exclusive, à moins que la prépondérance des
inconvénients ne donne fortement à penser qu'il ne faut pas en tenir compte ".
Banque Nationale du Canada c. Cie D'Assurance Halifax, [1996] A.N.-B. no 72.
17Je ne saurais
faire mieux que de souscrire au raisonnement du juge McKeown dans l'arrêt Ash,
puisque j'estime que les faits qu'il devait trancher étaient essentiellement
les mêmes que ceux de la présente instance. Dans cette affaire, la décision du
juge qui avait entendu les motions a été confirmée par la Cour d'appel de
l'Ontario; voir Ash c. Lloyd's Corp. (1992), 9 O.R. (3d) 755 (autorisation de
pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée). Bien que je ne sois pas lié par
elle, il y a tout lieu de considérer cette décision de la Cour comme fort
convaincante. Je me reporte à l'extrait suivant de la décision du juge d'appel
Carthy, à la page 758 :
Les demandeurs prétendent que l'on ne doit pas tenir compte des clauses attributives de compétence exclusive parce que s'il y a eu fraude dans les circonstances qui ont mené à la passation des contrats, les contrats sont nuls ab initio et les clauses se rapportant au choix de la juridiction sont inopérantes. Je suis d'accord avec le juge McKeown et avec les précédents qu'il cite pour conclure qu'une allégation voulant qu'un contrat soit nul ab initio ne rend pas le contrat nul avant que la cour ait rendu un jugement définitif. Si les demandeurs pouvaient introduire une action en formulant une allégation de fraude qui annulerait le contrat et vicierait l'attribution de compétence dès le départ, ils pourraient avoir gain de cause sur le fond devant la juridiction qu'ils ont eux-mêmes choisie ou échouer sur le fond tout en privant la défenderesse de la juridiction prévue au contrat. Ces clauses sont trop importantes sur le plan du commerce international pour que l'on permette que des résultats exorbitants en découlent.
18Les demandeurs me pressent d'établir une distinction entre la présente instance et l'affaire Ash pour le motif que des jugements ont ultérieurement été rendus en Angleterre dans des litiges se rapportant aux difficultés financières de Lloyd's et aux conséquences qui s'en sont suivies pour ses membres. Dans l'affaire Society of Lloyd's c. Donnell Russell Daly, jugement inédit rendu le 27 janvier 1998 par le juge Tuckey, de la Haute Cour de justice, Division du Banc de la Reine, Cour de commerce et confirmé par la Cour d'appel de l'Angleterre dans une décision inédite datée du 31 juillet 1998 et intitulée Society of Lloyd's c. Fraser & Ors, il a été décidé, à la suite d'une demande de jugement sommaire, que le droit des sûretés ontarien ne devait pas être considéré en droit anglais comme un moyen de défense permettant à un membre de se soustraire à une obligation prévue dans les conventions passées avec Lloyd's et qu'une demande introduite contre Lloyd's par suite d'allégations voulant qu'un membre ait été frauduleusement incité à conclure des conventions avec Lloyd's ne pouvait être utilisée comme demande compensatoire ou reconventionnelle à l'endroit de la mesure de redressement sollicitée dans l'action qui fait l'objet de la demande de jugement sommaire.
19La demande de
jugement sommaire visait à obtenir des jugements relativement à des primes dont
Lloyd's exigeait le paiement, aux termes d'un contrat de réassurance, de Names
qui n'avaient pas accepté un projet de réaménagement proposé par Lloyd's, le
tout conformément aux conventions que les Names avaient passées avec elle. Les
Names qui n'acceptaient pas le projet, dont pourrait faire partie le demandeur
Morrison, ont prétendu que le contrat était non exécutoire à leur endroit en
raison d'une prétendue violation des lois canadiennes régissant les sûretés.
20Les tribunaux
anglais ont examiné les règles de droit canadiennes invoquées et ont décidé, en
s'appuyant sur une analyse du droit anglais dont les parties avaient convenu
qu'il régissait leurs rapports contractuels, que le droit canadien des sûretés
ne constituait pas une défense opposable à la mesure de redressement sollicitée
par Lloyd's.
21On ne pouvait
s'attendre à plus. En toute justice, les tribunaux anglais se devaient
d'examiner la défense fondée sur le droit canadien des sûretés et décider si,
en vertu du droit anglais, les défendeurs pouvaient s'en prévaloir dans
l'affaire dont ils étaient saisis. C'est ce qu'ils ont fait d'une manière qui
semble consciencieuse.
22Je suis conscient
du fait qu'une demande semblable à celles dont je suis saisi a déjà été
tranchée par le juge Turnbull, de notre Cour. Dans l'affaire Dr. Gerald T.
Regan as Applicant and The Society of Lloyd's as Respondent, introduite dans la
circonscription judiciaire de Saint-Jean sous le numéro S/M/178/97, le 27
décembre 1997, le juge Turnbull a ordonné, bien que ce fût avec le consentement
des parties, que la requête soit suspendue sans préjudice de la capacité du
requérant de reprendre l'instance, avec la permission de la Cour, si le
tribunal anglais omettait d'examiner et de trancher la question de
l'applicabilité du droit des sûretés du Nouveau-Brunswick, à la demande du
requérant.
23Dans la présente
motion, les demandeurs prétendent qu'un tribunal anglais dont la décision a été
confirmée en appel a refusé de considérer le droit canadien des sûretés comme
un moyen de défense opposable à l'exécution des conventions passées avec
Lloyd's à l'encontre des demandeurs et que l'on peut s'attendre à ce que le
résultat soit le même dans un nouveau litige instruit en Angleterre.
24Cela est
peut-être exact, mais là n'est pas la question. Il reste que le juge Tuckey et
la Cour d'appel de l'Angleterre ont tous deux judicieusement examiné la
question de l'applicabilité du droit canadien [néo-brunswickois] des sûretés et
ont statué qu'en vertu du droit anglais, il n'était pas applicable. En toute
justice, on ne pouvait pas exiger autre chose d'eux. Le fait que les
demandeurs, lesquels ont convenu que le droit anglais était applicable, soient
mécontents de ce résultat ne suffit pas, à mon sens, à distinguer la présente
instance du raisonnement suivi dans l'arrêt Ash ni à donner lieu à un résultat
contradictoire en raison de l'ordonnance rendue par le juge Turnbull dans la
décision Regan.
25Le deuxième point
sur lequel on me demande d'établir une distinction avec l'arrêt Ash est que les
tribunaux anglais ont ultérieurement refusé de permettre qu'une allégation de
fraude ou d'assertion frauduleuse donne lieu à une demande en compensation ou à
une demande reconventionnelle à l'endroit du redressement sollicité par
Lloyd's.
26Là encore, je ne
vois pas le fondement de cet argument. Les tribunaux anglais n'ont pas nié que
les demandeurs pouvaient introduire une demande en résiliation ou en
dommages-intérêts en Angleterre. En fait, ils ont clairement dit que ces
recours pouvaient être exercés. La décision des tribunaux anglais visait
simplement à rendre exécutoires les conditions prévues dans les conventions
conclues portant qu'aux termes de la convention de réassurance, qui liait les
Names opposés au réaménagement, ces derniers devaient payer les primes
exigibles sans compensation. C'est ce que l'on a appelé la disposition
"payez maintenant, poursuivez plus tard " qui a été confirmée par les
tribunaux anglais.
27Là encore, en
l'absence d'une négation du droit des demandeurs d'introduire une action devant
les tribunaux anglais pour fraude ou assertion frauduleuse, négation qui n'a
pas été établie, je ne vois pas pourquoi il faudrait établir une distinction
entre la présente instance et le raisonnement suivi dans l'arrêt Ash.
28Compte tenu du
fait qu'ils se sont engagés à soumettre aux tribunaux anglais les différends de
quelque nature qu'ils soient se rapportant à leur appartenance à Lloyd's, le
droit veut qu'il incombe aux demandeurs d'établir qu'il existe de solides
raisons pour lesquelles le Nouveau-Brunswick est un endroit plus propice à
l'instruction de l'action que l'Angleterre.
29Je ne suis pas
convaincu qu'ils l'ont fait compte tenu des facteurs énoncés dans l'arrêt Ash
et de leur application aux circonstances de la présente instance.
30Tout en
souscrivant aux arguments de fond formulés par l'avocat de M. Morrison,
l'avocat de M. Drummie a formulé un autre argument, à titre subsidiaire. Cet
argument repose sur ce qu'il considère être la prétention de M. Drummie selon
laquelle non seulement il devrait pouvoir se soustraire, par voie de
résiliation, aux conventions qu'il a passées avec la défenderesse mais en
outre, même à supposer que les contrats soient exécutoires à son endroit dans
la mesure où toute contestation de leur validité et de leurs conséquences doit
avoir lieu devant les tribunaux anglais et en vertu du droit anglais, M.
Drummie conserve un droit d'action distinct en responsabilité délictuelle qui a
pris naissance avant qu'une quelconque convention intervienne entre les parties
et n'est donc pas régi par la disposition attributive de compétence ni la
disposition établissant le droit applicable et devrait être exercé au
Nouveau-Brunswick parce que c'est l'endroit le plus propice.
31Selon cet
argument, Lloyd's, ou des mandataires de Lloyd's, sont venus au
Nouveau-Brunswick afin de recruter des membres susceptibles de participer au
marché de l'assurance de Lloyd's. Les demandeurs prétendent que Lloyd's s'est
rendue coupable de tromperie et de fraude en divulguant intentionnellement de
faux renseignements ou en ne divulguant pas des renseignements qu'elle
possédait concernant le marché de l'assurance sur lequel ils étaient invités à
pénétrer.
32L'avocat de M.
Drummie prétend principalement qu'en toute justice, son client a certainement
le droit d'intenter au Nouveau-Brunswick une action pour des dommages
imputables à une fraude commise au Nouveau-Brunswick à l'endroit d'un résident
du Nouveau-Brunswick. Il affirme que la cause d'action a pris naissance avant
que son client ne passe une quelconque convention avec Lloyd's, qu'une faute de
ce genre n'est pas assujettie à une quelconque convention ultérieure concernant
l'attribution de compétence ou le choix de la loi applicable et qu'en l'absence
de telles clauses, le Nouveau-Brunswick est l'endroit propice si l'on applique
les critères énoncés dans l'arrêt MacShannon c. Rockware Glass Ltd., [1978]
A.C. 795.
33Cet argument m'a
quelque peu préoccupé, mais après avoir examiné les faits de la présente
instance, j'ai conclu qu'il devait être rejeté.
34Premièrement,
bien que je reconnaisse le principe général voulant que le droit du lieu où la
faute a été commise soit habituellement applicable, il y a lieu de souligner
que ce principe porte sur le choix de la loi applicable et non pas de l'endroit
propice ou de la juridiction compétente.
35Deuxièmement, je
ne suis pas convaincu que les prétendues fautes ont été commises au
Nouveau-Brunswick. S'il est vrai que c'est au Nouveau-Brunswick que les
demandeurs ont tout d'abord été invités à participer au marché de l'assurance
de la défenderesse et que l'on puisse prétendre que cette sollicitation était
frauduleuse et a incité ou amené les demandeurs à conclure les conventions avec
la défenderesse, il n'en demeure pas moins qu'un ensemble de renseignements a
été demandé et fourni jusqu'au moment où les conventions ont été passées en
Angleterre. Il me semble que l'on pourrait fort bien prétendre que la
responsabilité délictuelle susceptible d'être engagée pour avoir
frauduleusement incité les demandeurs à conclure les conventions avec Lloyd's
n'a pas, en fait, pris naissance avant la passation de ces conventions. On n'a
produit aucune preuve établissant que les demandeurs ont été frauduleusement
incités à souscrire aux clauses contenues dans les conventions et portant sur
l'attribution de compétence ou le choix de la loi applicable ou qu'ils n'en
comprenaient pas parfaitement le sens.
36Troisièmement, je
ne suis pas convaincu que l'on soit fondé à établir une distinction en ce qui
concerne les conséquences pouvant découler d'une cause d'action en
responsabilité délictuelle par opposition à une cause d'action en
responsabilité contractuelle d'après les faits de la présente instance et la
preuve dont je dispose. D'ailleurs, on ne sait pas très bien si la demande de
M. Drummie, telle qu'elle est actuellement libellée, est une demande en
responsabilité délictuelle plutôt qu'en responsabilité contractuelle. J'estime
qu'il s'agit là d'une question qui peut être clarifiée au moyen d'une
modification des plaidoiries. Quant à savoir si l'issue de l'instance devrait
dépendre du choix de la cause d'action, c'est une toute autre question. Je
crois comprendre qu'il y a longtemps, en droit, que l'acceptation ou le rejet
d'une demande n'est plus fonction de la nature de la cause d'action invoquée.
37En l'espèce,
Lloyd's avait le devoir de ne pas recourir à la tromperie dans ses tentatives
visant à recruter de nouveaux Names afin qu'ils participent à son marché de
l'assurance. De plus, elle serait coupable de délit civil si elle avait manqué
à ce devoir et si des dommages en avaient découlé. L'existence du délit civil
dépend de l'existence des dommages, or ces derniers ne sont survenus qu'après
la passation des conventions entre les demandeurs et la défenderesse et leur
montant est fonction de ces conventions. Les demandeurs ne pouvaient exercer un
recours en responsabilité délictuelle avant de subir des dommages imputables
aux contrats qu'ils avaient signés.
38La mesure de
redressement à laquelle donnerait lieu le prétendu délit civil consisterait en
la résiliation des conventions ou, subsidiairement, en des dommages-intérêts
équivalents aux pertes subies par les demandeurs en raison des conventions. Je
ne vois pas en quoi les conséquences seraient différentes si les demandeurs
exerçaient un recours en responsabilité délictuelle ou contractuelle et dans
les deux cas, les conventions font partie intégrante de la cause d'action et la
clause attributive de compétence et celle déterminant la loi applicable ont un
rôle à jouer. Je ne pense pas que les demandeurs puissent se soustraire à leurs
engagements simplement en choisissant de fonder leurs prétentions sur la
responsabilité civile délictuelle.
39La demande est la
même et les circonstances sont les mêmes et j'estime que cet argument ne
respecte pas le raisonnement suivi dans l'arrêt Ash ou dans les décisions
américaines, où la question de la fraude et celle de l'incitation frauduleuse
ont été examinées en profondeur.
40Il est
intéressant de souligner, pour le cas où l'argument des demandeurs aurait été
accueilli à cet égard, que même en appliquant le double critère énoncé dans
l'arrêt MacShannon, la Cour d'appel de l'Ontario aurait considéré, dans l'arrêt
Ash, que les tribunaux anglais étaient la juridiction compétente compte tenu de
la prépondérance des inconvénients. Le juge Carthy a dit, à la page 758 de sa
décision, que la Cour d'appel souscrivait entièrement aux motifs invoqués par le
juge qui avait entendu les motions pour surseoir à l'action introduite contre
Lloyd's.
41Mais il est allé
plus loin lorsqu'il a fait les observations incidentes suivantes :
Même en l'absence des clauses attributives de compétence exclusive, les contrats doivent être exécutés en Angleterre, la prétendue conduite fautive était le fait d'un grand nombre de citoyens anglais qui s'acquittent des fonctions quotidiennes relevant de la compétence de Lloyd's et selon le tableau d'ensemble qui s'en dégage, l'affinité avec l'Angleterre est dominante.
42Bien que d'après les faits dont je dispose je ne sois pas enclin à être aussi généreux, je suis en mesure de considérer l'Angleterre comme l'endroit le plus propice. Étant donné les nombreuses actions auxquelles le problème de Lloyd's a donné lieu, je suis convaincu que justice sera probablement mieux rendue devant les tribunaux anglais compte tenu de l'ensemble des inconvénients et des frais que cela suppose. Je dis cela en sachant fort bien que les demandeurs personnellement subiraient moins d'inconvénients et devraient engager moins de frais si leur action était instruite au Nouveau-Brunswick. De plus, je suis également convaincu que les prétentions des demandeurs voulant qu'il y ait eu assertion frauduleuse seront examinées à fond et en toute équité devant un tribunal anglais et conformément au droit anglais, de même que la question de l'applicabilité du droit des sûretés du Nouveau-Brunswick.
43En exerçant mon
pouvoir discrétionnaire, toutefois, je veux m'assurer que si les demandeurs
font valoir leurs prétentions contre la défenderesse en Angleterre, ils ne
perdront pas certains avantages personnels ou judiciaires auxquels ils auraient
droit si leurs actions étaient instruites au Nouveau-Brunswick.
44Plus précisément,
je ne suis pas d'avis que l'introduction d'une quelconque action en Angleterre
devrait assujettir les demandeurs à une obligation de fournir une sûreté en
garantie des dépens.
45En outre, bien
que je ne laisse nullement entendre que l'exécution forcée des jugements que la
défenderesse a obtenus d'un tribunal anglais contre l'un ou l'autre des
demandeurs doive être restreinte jusqu'à que les demandeurs exercent un recours
devant les tribunaux d'Angleterre, je pense que l'exécution d'un quelconque
jugement de ce genre ne devrait pas être une condition préalable au droit des
demandeurs d'introduire une action en Angleterre contre la défenderesse.
46De plus,
l'application par la défenderesse des dispositions dites "payez maintenant
et poursuivez plus tard " contenues dans les arrangements qui ont découlé
des conventions intervenues entre les parties ne devrait pas faire obstacle à
la capacité des demandeurs d'intenter une action à la défenderesse devant les
tribunaux anglais avant qu'ils aient payé les primes que la défenderesse leur
réclame ou relativement auxquelles des jugements ont été rendus contre eux.
47Par conséquent et
pour les motifs énoncés, j'ordonne la suspension des actions que les demandeurs
ont introduites dans la cause no S/C/1033/97 et la cause no S/C/1131/97 aux
conditions suivantes :
1. Pour le cas où les demandeurs intenteraient une action à la défenderesse en Angleterre, cette dernière ne doit pas demander une sûreté en garantie des dépens.
2. Pour le cas où les demandeurs intenteraient une action à la défenderesse en Angleterre, cette dernière renoncera à toute condition suspensive voulant que les jugements qu'elle obtient contre les demandeurs ou l'un ou l'autre d'entre eux doivent être exécutés avant que les demandeurs puissent introduire une action.
3. Pour le cas où les demandeurs intenteraient une action à la défenderesse en Angleterre, cette dernière renoncera à toute disposition contractuelle qui oblige les demandeurs à s'acquitter des obligations contractuelles qui lient les demandeurs et la défenderesse avant que les demandeurs puissent introduire une action contre la défenderesse.
48La défenderesse a droit aux dépens afférents aux présentes motions et que je fixe à 1 000 $, somme que chacun des demandeurs devra lui verser sur-le-champ.
M. LE JUGE P.S. CREAGHAN
End
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